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Je suis arrivé tôt à Cluny pour visiter l'abbaye et tenter de comprendre ce qui, dans la géographie visible,
avait facilité sinon provoqué la splendeur clunisienne. J'avoue que
c'est maintenant le soir et que je n'ai rien trouvé. Là se trouve
peut-être d'ailleurs la solution de l'énigme. Cluny est à Cluny parce
que c'est plat dans un environnement qui ne l'est pas tant que ça, même
s'il n'est pas montagneux ni difficile d'accès. La ligne de partage des
eaux n'est pas loin, mais ne passe pas par Cluny. J'ai failli repartir
vers le nord et Meilly-sur-Rouvres, à plus d'une centaine kilomètres,
pour aller jusqu'au tripoint qui marque précisément
l'intersection des trois bassins versants du Rhône, de la Loire et de
la Seine. Et puis j'ai renoncé. J'y serais peut-être allé s'il y
avait eu un train. Ainsi, je finis l'après-midi avec plaisir dans l'abbaye, dans un nécessaire face-à-face avec les sculptures médiévales qui sont comme un bain d'espérance. Je tente d'imaginer qui pouvaient être les sculpteurs qui, sans le savoir peut-être, subrepticement, ont choisi, par leur art, d'avoir raison sur un avenir lointain. Je regarde avec une grande attention l'ensemble des arborescences
qui ouvragent les chapiteaux et je me souviens soudainement d'une
phrase, dont je ne connais plus la source, qui déclare que tout ce qui
monte converge. Je devrais me rappeler son auteur, bien sûr, mais l'oubli est devenu une habitude.
Heureusement, sans difficulté, mon aide-mémoire numérique m'informe
qu'il s'agit d'un aphorisme de Teilhard de Chardin, qui n'était
cependant pas bénédictin mais jésuite. Je sors apaisé de cette visite
contemplative qui confirme qu'avec un peu d'effort tout âge est l'âge de la joie. Une fois l'abbaye fermée à la visite, je reste encore sur une petite place, non loin, sous les branches d'un arbre, attendant que le soir vienne pour aller dîner en écoutant la conversation de mes voisins de table. Le ciel est d'un jaune orangé étonnant qui augure de chaleurs intense alors que l'on n'est pas encore en juin.
Je me rappelle très bien la première fois que je suis venu à Cluny sur la route de retour de vacances, mais je ne me rappelle plus
d'où je venais ni quelle pouvait être ma destination. Je scrute les
cartes électroniques, dont on ne disposait pas alors, et je ne parviens
pas à comprendre comment et pourquoi on passe par Cluny sauf à l'avoir
décidé. Cela est peut-être un autre indice sur le choix du lieu de
l'implantation de l'abbaye. L'explication est plus facile à trouver
pour Vézelay ou bien encore pour Lagrasse. J'y penserai.
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