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C'est le 15 décembre, c'est
la sainte Ninon et c'est la montée vers
le solstice, un de ces jours où l'on peut croire que le soleil ne descend
pas davantage alors qu'il qu'il descend, encore doucement
un peu. On se dit que s'il descendait encore, ce serait sans soleil.
Je marche dans les rues sans aucun but de promenade, tentant de
considérer la ville sous
des traits nouveaux. Je m'aperçois en regardant les façades que je ne connais plus
rien de la géométrie et me promets d'y remédier tout en sachant que
je ne le ferai pas. Je parcours la ville et le matin
malgré le mauvais temps. Je
ne me souviens plus de cette chanson qui invente le vent mauvais mais
je m'en vais blême pourtant, sanglotant, suffocant
presque, cherchant
la saveur
dans des rues froides, emplies de vent à jamais. Face à l'angoisse,
je regarde ailleurs. Regarder
ailleurs,
ce n'est pas confronter sa mémoire aux images, ce n'est pas remplacer
les images d'aujourd'hui par les images d'hier, c'est mettre le passé
en rempart. La marche m'apaise et même si le soir subsiste encore une vague
inquiétude, la crise est passée. Mais je dois faire attention.
Je dois surtout chasser de mon esprit l'idée que j'ai sacrifié ceci ou
cela, ma jeunesse ou la réussite, pour ceci ou encore cela, car, de sacrifice il
n'y en avait aucun.
Ce qui me désespère, c'est que le texte n'avance pas et ce n'est pas drôle. C'est à désespérer de
l'intelligence et de l'écriture. Je sais qu'il faudrait
que je prenne du recul, ou de la hauteur, selon
la métaphore choisie, par rapport à l'écriture. Que faudrait-il
pour que j'écrive ? Peut-être que j'accepte d'écrire des livres,
ce que j'ai toujours refusé de faire, croyant par
superstition que cela portait malheur. C'est Barthes, je le sais,
qui m'a mis cela dans la tête, affirmant dans son cours sur le roman
que, d'une certaine façon, Zola n'était pas un écrivain... car il avait
écrit trop de livres. Ce n'est certes pas exactement ce qu'il prétend,
mais c'est ce dont je me souviens. C'est donc pourquoi j'ai refusé
obstinément de faire l'écrivain en écrivant des livres en supposant en
effet que c'était
incompatible. Plus de quarante ans plus tard, je me prétends
écrivain alors que je
ne peux revendiquer aucun des
attributs de l'écrivain. Il faut bien admettre que croire qu'écrire
un livre usurpe
quelque chose de l'ordre de l'écrire est une aporie.
Alors ! Que faudrait-il donc ? Sans doute, dirait
Descartes, « un
esprit entièrement libre de préjugés ». |
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