mardi 4 avril 2023

jeudi 4 avril 1963, il y a 60 ans TROIS MOIS DE CRISE

Le Monde - publié le 4 avril 1963



JANVIER

16. - Une grève de rendement est déclenchée par les Fédérations C.G.T. et F.O., pour quinze jours. La C.F.T.C., qui préconise une grève totale et illimitée, ne s'est pas ralliée à cette action.

28. - Les mineurs F.O. du Nord et du Pas-de-Calais envisagent à leur tour une grève illimitée. La C.G.T. estime qu'un tel mouvement " servirait de prétexte aux manœuvres du gouvernement et de la direction des houillères ", et ne peut être décidé que par un vote des mineurs à bulletins secrets.

29. - La Fédération C.F.T.C. renouvelle sa proposition de grève générale, seul moyen, dit-elle, de faire prendre en considération les revendications des mineurs. " F.O., ajoute-t-elle, en se ralliant à cette formule, avoue l'échec prévisible de la grève du rendement. La C.G.T. préconise un référendum dans le seul but de reculer l'échéance. "

31. - La C.G.T. lance un ordre de grève de quarante-huit heures à compter du 1er février. La C.F.T.C. et F.O. donnent des consignes illimitées. Le ministre de l'industrie invite alors les mineurs à s'entretenir avec la direction des Charbonnages pour avancer la date d'ouverture des discussions sur les salaires, primitivement fixée au 1er mars. M Grandval prend contact avec les dirigeants syndicaux. Ceux-ci sont informés que les discussions s'ouvriront le 15 février. La C.G.T. et la C.F.T.C. retirent leurs ordres de grève.

FÉVRIER

1er. - F.O. annule à son tour ses consignes qui n'ont été suivies que par 2,4 % des mineurs.

15. - Brève réunion à la direction des Charbonnages. La C.G.T. et la C.F.T.C. estiment inacceptables les propositions qui leur sont faites ; soit 5,77 % pour l'année : 0,77 % (prime de productivité versée aux autres entreprises nationalisées) ; 0,75 % (offre identique dans tout le secteur nationalisé) et 2 % (au titre de l'année charbonnière). Le " retard " des salaires est estimé à 4 %.

Or, les mineurs évaluent cet écart à 11 % et demandent une quatrième semaine de congés payés et la réduction du temps de travail.

F.O. n'a pas participé à la réunion, ne voulant pas, par principe, être reçue en même temps que la C.G.T.

18. - La Fédération C.G.T. décide une quinzaine revendicative à compter du 1er mars, avec une grève totale le 1er et le 2 puis la limitation du rendement, car, dit-elle, c'est celui-ci " qui compte le plus aux yeux des gros capitalistes ". Elle propose l'unité d'action aux deux autres organisations.

20. - La C.F.T.C. et F.O. invitent respectivement leurs adhérents à cesser le travail le 1er mars pour une  durée illimitée.

27. - Le ministre de l'industrie, au cours d'une entrevue de quelques minutes, informe les syndicalistes C.G.T., C.F.T.C. et F.O. que le gouvernement a décidé de réquisitionner le personnel des cokeries le 1er mars et l'ensemble des mineurs à partir du 4 mars.

MARS

1er. - La grève est totale dans les grands bassins : 98 % d'absents au fond dans le Nord et le Pas-de-Calais et 93 % en Lorraine. Seul Blanzy en compte 49 %.

Les agents des cokeries ont répondu à la réquisition. Tous ne travaillent pas, mais le fonctionnement de sécurité est assuré.

Les ingénieurs des mines du Nord et du Pas-de-Calais se solidarisent avec les ouvriers des houillères.

[En Lorraine vingt mille mineurs de fer se mettent également en grève pour protester contre les licenciements envisagés par les exploitants.

Des grèves tournantes sont également déclenchées dans les gisements de potasse, de bauxite, d'uranium et dans les ardoisières.]

2. - Les centrales C.G.T., C.F.T.C., les enseignants (F.E.N.) et les étudiants (U.N.E.F.) se réunissent pour envisager la réplique à la réquisition.

3. - Le Journal officiel paraît exceptionnellement le dimanche pour publier le décret de réquisition signé la veille, à Colombey, par le président de la République. L'arrêté d'application pour les bassins de Lorraine, de Blanzy, d'Auvergne, du Dauphiné et de Provence est également promulgué.

4. - Les mineurs de Lorraine ne répondent pas à l'ordre de réquisition : 3,7 % seulement descendent dans les puits. Grèves sur le " tas " ou du rendement dans le Dauphiné.

5. - Les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais (pour qui le lundi 4 était jour de repos), réquisitionnés à leur tour, ne répondent pas davantage.

[Une grève générale de quinze minutes pour protester contre l'atteinte au droit de grève est déclenchée dans toutes les entreprises publiques et privées par la C.G.T., la C.F.T.C., la F.E.N. et l'U.N.E.F. (brefs et violents incidents au quartier Latin).]

6. - Le conseil des ministres n'envisage aucune modification des propositions du 15 février. Les conversations, déclare son porte-parole, se rouvriront après la reprise du travail. La réquisition des cadres est à l'étude.

7. - Les fédérations des mineurs, dans la perspective d'une grève longue, préparent la création de comités de solidarité et renforcent leurs consignes.

[Le personnel de la Société nationale des pétroles d'Aquitaine se met en grève pour quarante-huit heures et décidera ensuite un mouvement illimité.]

8. - Le premier ministre, interviewé à la R.T.F., sur un ton de causerie au coin du feu, reconnaît que la revalorisation proposée devra être suivie d'autres étapes mais ne précise pas celles-ci. Il invite les mineurs à la " sagesse " et à la reprise du travail.

Les ingénieurs C.G.C. font auprès de M. Pompidou une démarche " d'hommes de bonne volonté ".

[Les électriciens et gaziers suivent massivement une grève d'avertissement de deux heures.]

9. - L'organisation de la solidarité matérielle se développe. Les dockers retardent le déchargement du charbon importé.

Un fonds national de solidarité est créé par la C.G.T., la C.F.T.C., la F.E.N. et l'U.N.E.F. (la centrale F.O. refusant d'y rejoindre la C.G.T.).

10. - Grand meeting à Merlebach, rassemblements à Hénin-Liétard, Douai, Valenciennes, etc.

13. - Le conseil des ministres décide de confier à un comité des " Sages " (présidé par M. Massé) la comparaison de l'évolution des salaires dans les Charbonnages, à l'E.D.F.-G.D.F. et à la S.N.C.F., par rapport à ceux du secteur privé.

Une allocution du général de Gaulle n'est plus envisagée.

[Trois mille mineurs lorrains accompagnent à Paris la délégation de leurs camarades reçue au ministère de l'industrie.]

15. - MM. Massé, Bloch-Lainé et Masselin reçoivent les représentants des fédérations C.G.T., C.F.T.C., F.O. et C.G.C. des Houillères.

[Les cheminots qui avaient déjà cessé le travail deux heures, le 12 mars, déclenchent une grève-surprise de vingt-quatre heures pour protester contre l'ajournement de leur commission mixte.]

16. - Les représentants des quatre organisations des mineurs sont reçus à 10 heures par la direction des Charbonnages de France. Celle-ci les informe que le gouvernement appliquera les conclusions du comité Massé sur le retard de leurs salaires par rapport aux rémunérations du secteur privé. Malgré une seconde entrevue, l'après-midi, aucune autre précision ne leur est donnée.

À Lens, quarante mille mineurs défilent dans les rues. Nouveau meeting à Merlebach.

Dans la région parisienne le fonds de solidarité constitué par les syndicats C.G.T., C.F.T.C., F.O., F.E.N. et U.N.E.F. collecte 1 million de francs en trois jours.

18. - Les délégués des mineurs s'entretiennent de nouveau avec M. Massé.

20. - Les cokeries de Lorraine ne fournissent plus que le sixième du gaz habituellement produit.

On évalue à dix millions les fonds collectés pour les mineurs. Les organisateurs invitent souvent à verser le montant d'une journée de salaire.

[Les mineurs de fer reprennent le travail, ayant obtenu que les licenciements soient rapportés et qu'une " table ronde " étudie l'avenir de leur profession.]

21. - Les syndicats de mineurs continuent de réclamer la reprise des pourparlers et accusent le gouvernement de vouloir faire " pourrir " la grève.

Nouveaux meetings à Valenciennes, Anzin, etc.

[Débrayages " tournants " de deux heures à la S.N.C.F. et grève des facteurs. Grève dans la métallurgie et la sidérurgie, où une action similaire avait déjà eu lieu le 14 mars.]

22. - Les " Sages " remettent dans la soirée leur rapport à M. Pompidou. Ils évaluent le retard des salaires miniers à 8 %, car ils considèrent que la réduction du temps de travail dans les puits équivaut à une amélioration de 2 % du salaire.

[Les électriciens et gaziers cessent le travail de 8 heures à 12 heures.]

23. - Le gouvernement, à partir du rapport Massé rendu public, envoie par lettre ses instructions aux directions des entreprises nationalisées.

24. - Seconde entrevue entre les représentants des quatre fédérations de mineurs et ceux des Charbonnages. Il leur est proposé une augmentation de 5,77 % au 1er avril (4,27 % pour le rattrapage et 1,50 % pour la progression normale), une prime forfaitaire de 50 francs (comprenant le relèvement de 0,77 % précédemment prévu) et une avance de salaires de 150 francs. Les mineurs recevront ensuite 2,25 % de plus, partie au 1er juillet, partie au 1er octobre (dont 1,50 % de progression normale). Un nouveau rendez-vous est prévu en septembre.

La négociation est de nouveau suspendue, les mineurs voulant obtenir notamment 8 % à la reprise du travail.

25. - Le ministre de l'information, interviewé à la R.T.F., présente avec une variante les offres gouvernementales. Soit 6,50 % au 1er avril, pour atteindre 12,50 % au total au 1er avril 1964.

26. - Les mineurs et leurs dirigeants syndicaux accusent le gouvernement de " torturer " les chiffres pour retourner l'opinion contre eux.

27. - À l'issue du conseil des ministres M. Peyrefitte commente de nouveau les offres du gouvernement, qui, dit-il, n'iront pas plus loin.

Un premier versement de solidarité est fait aux mineurs du Nord et du Pas-de-Calais : 30 francs par gréviste.

[Les agents du gaz de Lacq reprennent le travail après avoir obtenu satisfaction sur la plupart de leurs revendications, dont le bénéfice de la majoration que toucheront les mineurs et le versement d'une " avance " de 480 francs, qui, dit-on, ne sera pas remboursée.

Grève tournante à la S.N.C.F. et débrayages limités à la R.A.T.P.]

28. - Les syndicats qualifient de campagne d'intoxication les déclarations de M. Peyrefitte. Ils réclament la reprise des discussions avec les Charbonnages " ou tout autre interlocuteur valable ".

[Grèves-surprises des électriciens de 8 h. 30 à midi.]

29. - Selon certaines informations le gouvernement envisage de confier aux préfets des régions minières une mission d'information auprès des syndicalistes Selon d'autres bruits l'avance de 150 francs aux mineurs pourrait être transformée en prime définitive.

À Lens, un rassemblement groupe environ soixante-dix mille personnes.

[Grèves-surprises des électriciens le matin et l'après-midi.]

30. - La direction des Charbonnages rappelle par affiches, dans les puits, les propositions du gouvernement.

Le ministre de l'industrie déclare que les mineurs peuvent être reçus par la direction des Houillères et que, dès la reprise du travail, il s'entretiendra avec les syndicats " de l'avenir de la profession et du régime des congés ".

AVRIL

1er. - La direction des Charbonnages, à 18 heures, invite les représentants des quatre fédérations, C.G.T., C.F.T.C., F.O. et CGC, à une réunion fixée au 2 avril, à 10 h. 30.

M. Peyrefitte déclare que la discussion précisera le montant et les modalités de la prime versée à la reprise du travail.

[Les grèves-surprises se poursuivent à la R.A.T.P.]
Le Monde