mercredi 4 janvier 2023
mardi 4 janvier 1966, il y a 57 ans L'Élection dans les Cévennes
M. Pierre Clément, de Canaules (Gard) nous adresse les remarques suivantes sur la leçon à tirer du scrutin présidentiel dans les Cévennes

Le Monde daté du 4 janvier 1966

Les luttes religieuses ont si profondément marqué les arrondissements d'Alès et du Vigan que le fond protestant réagit instinctivement chaque fois qu'il s'agit de s'opposer au pouvoir centralisateur. Tout se passe comme si la répression de l'hérésie cathare et les dragonnades avaient sensibilisé pour des siècles les populations cévenoles.

Dans tout le département du Gard, six communes seulement ont abandonné au deuxième tour moins de 10 % de leurs voix au président sortant. Cinq d'entre elles constituent une microrégion homogène : le recordman, Puechredon, où le général de Gaulle ne recueille aucun suffrage, sur onze votants à peine il est vrai ; Saint-Théodorit (7%), où la foi républicaine est tellement ancrée chez les habitants que les garçons nés au début de ce siècle furent prénommés Danton et Robespierre; Savignargues (7%), Canaules (8%) et Cannes-et-Clairan (8%), qui fut le théâtre de nombreuses escarmouches après la révocation de l'édit de Nantes. Le dénominateur commun de ces cinq villages voisins est qu'ils se sont entièrement convertis au calvinisme au XVIe siècle et qu'il n'y existe plus d'édifice du culte catholique depuis la Révolution, les rares familles pratiquant cette religion étant représentées par des immigrants ou des passagers.

La sixième commune à avoir résolument tourné le dos au pouvoir est la cité biblique d'Arphy (8 %), enclave du protestantisme dans les cantons à majorité catholique du Viganais.

Si l'on passe à la série des treize villages ayant accordé de 10 à 20% de leurs suffrages au général de Gaulle, on vérifie que douze constituent des bastions de la religion réformée. Les six premiers sont situés en bordure de l'épicentre de l'antigaullisme : Bragassargues (11%), patrie du camisard Jacques Bonbounous ; Logrian (17%), Domessargues (17%), Aigremont (14%), Massane (12%) et Massillargues-Attuech (12%) ; trois autres évoquent le désert : Corbès (12%), Colognac (13%) et Mialet (14%), où naquit le célèbre Rolland, tandis que les trois derniers reviennent souvent dans le récit de la révolte armée : Saint-Hippolyte-de-Caton (14%), Deaux (15%) et Euzet (19%), un des derniers refuges des camisards. Seule exception, le treizième opposant notoire, la bourgade minière de La Vernarède, est à majorité catholique, mais son prêtre a anticipé depuis longtemps l'esprit de Vatican II.

À l'opposé, la totalité des villages ayant accordé leur confiance au président de la République abritent une population de souche catholique. Il s'agit surtout des paroisses des Causses et de la haute vallée de la Cèze, où Témoignage chrétien n'a pas encore pénétré !

Le général de Gaulle atteint ses plus forts pourcentages à l'extrémité ouest du département, dans des villages excentrés, encore sous la coupe du clergé de l'immobilisme : Lanuejols (78%), Trèves (64%) et Saint-Sauveur-de-Pourcils (62%). Il recueille également la majorité des suffrages dans toute une zone cruellement marquée par la crise économique, mais où le conformisme héréditaire a néanmoins prévalu : c'est ainsi qu'il l'emporte à Sumène (62%), Rogues (62%), Saint-André-de-Majencoules (60%), Saint-Bresson (59%), Saint-Laurent-le-Minier (52%) Blandas (52%) et Avèze (51%). D'autres communes favorables au chef de l'Etat sont groupées soit sur la pointe nord du Gard réfractaire au protestantisme : Malons (60%), Concoules (57%), Aujac (53%), Sénèchas (53%), soit dans le quadrilatère d'influence catholique qui comprend Saint-Ambroix (52%), Saint-Julien-de-Cassagnas (51%), Potelières (56%), Les Plans (56%) et Servas (56%). Enfin les quatre dernières places fortes du gaullisme sont représentées par des bourgades viticoles des Basses-Cévennes qui ont refusé de se convertir à la Réforme, et depuis ont toujours voté pour les candidats conservateurs : Saint-Jean-de-Serres (51%), Saint-Jean-de-Crieulon (52%), Pompignan (52%) et Conqueyrac, dont le pourcentage élevé (68%) s'explique par les inscrits de la communauté religieuse de La Gardiole.

La Cévenne a toujours constitué une entité sociologique originale et il faut se garder de généraliser les conclusions tirées de cette analyse des communes les plus caractéristiques.

Paradoxalement la majorité des votants des arrondissements d'Alès et du Vigan ont réagi en fonction du schéma ancestral, alors que les deux candidats avaient soigneusement évité de porter le débat sur le terrain de la laïcité de crainte d'effaroucher une fraction de leurs électeurs. Pour ne pas être taxé d'interprétation partisane de ces faits bien concrets, il faut souligner qu'ils ne sont pas la résultante de prises de position de ministres du culte dans leurs paroisses respectives. Au contraire, de nombreux prêtres ont choisi Mitterrand, comme certains pasteurs ont volé au secours du général de Gaulle, suivant en cela l'exemple d'André Chamson, une des figures de proue du protestantisme cévenol.