samedi 14 janvier 2023

samedi 14 janvier 1961, il y a 62 ans Dans " Le Gardien ", Harold Pinter veut montrer la peur qu'ont les êtres de communiquer entre eux
Par CLAUDE SARRAUTE

Le Monde - publié le 14 janvier 1961



On sait peu de chose à Paris de ce qui se passe sur les scènes londoniennes. On les croit toujours dominées par les " Angry young men ". Il n'en est rien. Seul Osborne, son chef de file, se détache d'un mouvement qui n'attire plus grand monde. Depuis quelque temps d'autres noms, d'autres talents, se sont imposés. La prochaine saison du Théâtre des Nations nous révélera ceux de John Arden et de N.F. Simpson.

D'ici là - dès le 25 janvier - nous verrons au Lutèce The Caretaker de Harold Pinter qui connaît actuellement à Londres un grand succès et que les Anglais se proposent de nous présenter, en version originale, cet été.

Jacques Brunius s'est chargé de l'adapter en français et Jean Martin d'en surveiller les répétitions tout en l'interprétant. C'est à Roger Blin et José Valera qu'il a confié les deux autres rôles de la pièce. Elle n'en comporte que trois.

Son auteur était l'autre jour de passage à Paris. Je l'ai vu. C'est un assez joli garçon, acteur de son métier, bien fait pour jouer les jeunes premiers. Il est monté sur les planches dès l'âge de dix-sept ans, a tâté de la poésie, du roman, avant d'écrire en 1957 sa première pièce. Ses premières pièces, devrait-on dire, car il y en eut trois coup sur coup. Trois pièces en un acte. Deux d'entre elles étaient affichées l'an dernier au Royal Court Théâtre. Entre temps une œuvre de plus longue haleine, The Birthday Party, faisait un fiasco complet.

" Les critiques ont détesté cela ", déclare Pinter, ironique. Et puis, il y a tout juste neuf mois, avec The Caretaker, brusquement, ce fut la gloire. On affiche encore chaque soir, complet, au Duchess Théâtre. Je lui demande quel est le sujet de cette pièce. Après s'être fait un peu prier, il me dit qu'il s'agit d'un " type " et de son frère, propriétaire d'une vieille maison délabrée, et du clochard qu'ils y recueillent. Si j'ai bien compris ce qu'il a voulu montrer, c'est la difficulté, ou plutôt la peur qu'ont les êtres de communiquer entre eux et le recours au mensonge comme à un faux-fuyant.

De l'autre côté de la Manche, The Caretaker, - traduisez le Gardien - a diverti. Est-ce que cela n'a pas fait un peu penser à Beckett ?

" Nous y voilà. Toujours cette manie des références, des étiquettes. Beckett, oui, bien sûr, je l'admire, c'est un maître, mais je me sens pas plus influencé par lui que Simpson par Ionesco. Vous verrez One way pendulum de Simpson au mois de juin et Sergeant Margrave's doubts d'Arden. Aucun rapport, je m'empresse de le dire, entre eux et moi. Simplement, nous nous sommes efforcés tous trois de rompre avec une tradition bien établie en Angleterre qui consiste à ne jamais déconcerter complètement le spectateur. Une sorte de connivence tacite entre l'auteur et son public permet à ce dernier - quelles que soient les cabrioles auxquelles l'invite le premier - de retomber toujours sur ses pieds.

- Tandis que vous ?

- Nous, nous ne nous réclamons de rien ni de personne. Nous écartons toutes les concessions, toutes les conventions de mise jusqu'ici. "

Jean Martin, son metteur en scène, l'accompagne, à qui nous devons de connaître Lettre morte de Robert Pinget. En supplément au programme, il nous présentera cette fois, la Manivelle, un petit acte du même auteur, dont Georges Adet et Livry seront les seuls interprètes.

CLAUDE SARRAUTE.