Diégèse
Les narratrices et les narrateurs
Journal de Côme en 2002 - 41 jours -
Côme vit et travaille à Montargis dans le Loiret.




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mercredi 3 janvier 2024 jeudi 3 janvier 2002 C'est demain le commencement du grand voyage. Quand j'ai rencontré Damien à la faculté de médecine, nous nous sommes assez vite amusés à nous appeler « les saints », en référence à Saint Côme et à Saint Damien. Damien était en pharmacie. L'analogie était donc parfaite, si ce n'était que nous n'étions pas frères. La vie a fait son travail et nous nous sommes installés à Montargis il y a une dizaine d'années. Damien a repris une officine et j'ai ouvert un cabinet médical.
Nous nous étions promis d'aller sur les traces des deux saints dès que nous pourrions nous absenter un peu. C'est le bon moment. J'ai une remplaçante en qui j'ai toute confiance. La pharmacie de Damien tourne toute seule ou presque avec ses assistants.
Nous partons donc demain. Ce journal sera le journal de ce voyage et de cette quête qui devrait durer une année, avec quelques retours à Montargis pour nous assurer que tout va bien.




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mardi 9 janvier 2024 mercredi 9 janvier 2002 Nous ne sommes pas bien loin de Paris, mais c'est peut-être ici, plus que dans les lieux plus connus et prestigieux que l'évocation des deux saints guérisseurs Côme et Damien est la plus émouvante, ici, dans le Cantal, pas très loin de la Corrèze. Nous avons trouvé une chambre à Mauriac, dans le plus vieil hôtel, ancien relais de poste : l'Écu de France. Il aurait bien besoin d'être un peu rénové mais il semble que ce soit dans les projets du patron. Moi, je le trouve parfaitement à mon goût, ayant un faible pour les lieux un peu vieillots.

Depuis que nous sommes arrivés, nous allons tous les jours à Brageac et demain, si le temps le permet, nous irons à pied. Il faut moins que deux heures de marche pour rejoindre l'église Saint-Thibaud. Comme les journées sont courtes, nous commanderons un taxi pour rentrer. Dans ces pays où les transports en commun sont déficients, où le train a été supprimé, où les autocars ignorent les petits villages, le taxi est encore ce qui fonctionne le mieux.

J'ai hâte de faire cette promenade, qui sera aussi une méditation. Il fera froid. Mais, il ne fait jamais très chaud à Brageac.




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lundi 15 janvier 2024 mardi 15 janvier 2002 L'église de Brageac n'est pas dédiée à Côme et Damien, mais à Saint Thibaud, abbé de l'abbaye des Vaux-de-Cernay. Brageac, ai-je lu, est l'ancienne Brajecte où le Till de la légende aurait terminé sa vie dans une grotte et fait construire un monastère qui sera détruit par les Sarrasins. Les touristes peuvent visiter la grotte de Saint Till. Ce sont deux frères, quatre siècles plus tard, Guy et Raoul d'Escorailles, qui auraient rapporté les chefs des deux saints guérisseurs en revenant de la première croisade. Deux frères pour deux saints... Est-ce pour cette raison que plusieurs chapiteaux de l'église romane semblent voués à la gémellité ?

En revenant de Brageac, nous est venue l'idée, plutôt que de partir tout de suite à Rome, d'aller visiter en France quelques villes dont l'église où l'une d'entre elles porte le nom des deux saint jumeaux guérisseurs. Il y en a une dans l'Aveyron voisin. Cela permettra d'accomplir notre vœu tout en attendant le printemps pour entamer de plus longs voyages vers l'orient.

Nous avons eu la chance d'entendre le 7 janvier la cloche de l'église, la plus ancienne du Cantal, datée de 1466. Le 7 janvier, c'est la fête de Saint Till. Nous aurons sans doute été cette année les pèlerins les plus assidus de Brageac.




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vendredi 2 février 2024 samedi 2 février 2002 Il est temps de rentrer à Paris et nous allons le faire en automobile et plus particulièrement en remontant la route nationale 6, qui n'est autre que l'un des branches des via Agrippa romaines. Il s'agira de rejoindre le bourg de Sainte-Magnance, à la frontière de l'Yonne et de la Côte d'Or. De là, il y aura une heure de marche pour rejoindre... un fossé, parfois assez abusivement appelé « ravin » parce qu'il porte le nom curieux de « Come Damos », ce qui semble désigner en latin nos deux saints Côme et Damien. En tout cas, ils n'auront pas sauvé la dite Magnance, qui accompagnait en 448 la dépouille mortuaire de Germain, évêque d'Auxerre, mort à Ravenne. L'histoire de la sainte est pittoresque puisque la chapelle érigée au VIIe siècle a été détruite au XVIIIe. Mais, elle fait encore l'objet d'une certaine dévotion, de même que saint Grégoire à qui est dédiée une chapelle magnifique, qui se trouve aussi à une heure de marche, mais cette fois vers l'Ouest. Admettons que le nom du fossé en question soit un hasard, la sainte ayant bien un siècle de plus que nos saints préférés.

Nous y arriverons demain, si la circulation n'est pas trop mauvaise. Nous rapportons à Paris de l'eau miraculeuse que nous entendons bien distribuer généreusement. Nous n'avons aucun doute sur son efficacité.




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lundi 12 février 2024 mardi 12 février 2002 En revenant à Paris, nous avons fait un petit détour par le diocèse d'Évry et plus précisément par la petite église Saints Côme et Damien de Villebon-sur-Yvette. Si l'on en croit les historiens locaux, elle aurait été bâtie à la fin du seizième siècle par Nicolas de Thou, qui n'était pas n'importe qui, puisqu'il avait été évêque de Chartres et que c'est lui qui avait procédé au sacre du roi Henri IV dans sa cathédrale. Il mourra à Villebon-sur-Yvette, fief de sa famille. Cependant, si l'église, ancienne chapelle du château, est dédiée à nos deux saints, c'est un peu par hasard. En effet, le dit Nicolas de Thou avait surtout instauré une foire le jour de la Saints-Côme-et-Damien, le 26 septembre, et l'église ne leur aura été dédiée que par la suite.

Trouver cette petite église de campagne, c'est retrouver le passé rural de ce territoire désormais marqué par un aménagement urbain erratique et surtout peu soucieux de cette ruralité qui a le malheur d'être trop proche de Paris. Avec le château qui la jouxte, à moins que ce ne soit elle qui jouxte le château, elle constitue une sorte de conservatoire de la ruralité entre la zone industrielle de la Prairie et une zone commerciale d'entrée de ville le tout surveillé par des lignes à haute-tension portées par des rangées de sept pylônes métalliques et majestueux et qui vont certainement alimenter l'aéroport d'Orly qui n'est qu'à une encablure.

Qui les saints guérissent-ils encore dans cet environnement enclavé ? C'est indécidable.







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dimanche 18 février 2024 lundi 18 février 2002 L'église de Villebon-sur-Yvette n'est pas la seule en Île-de-France à être dédiée à nos deux saints éponymes. Nous ne le savions pas, mais à Luzarches, dans le Val d'Oise, se tient aussi une église, remarquable en tout point, très ancienne, et qui porte bien le nom de Saint Côme et Saint Damien.
À bien y regarder, elle n'est pas placée n'importe où sur la carte, mais à l'immédiate proximité d'un des grands axes historiques du pays. Depuis Paris, il faut prendre la grande route royale du nord, la route nationale 1 et à l'entrée de Sarcelles, bifurquer sur la droite en direction de Chantilly. Le promeneur aura plaisir à éviter la déviation pour prendre l'ancienne artère nommée avenue Marx-Dormoy. Assez vite, il arrivera à Écouen et pourra faire la visite du magnifique musée de la Renaissance qui vaut un léger détour. Puis, ce sera la grande plaine agricole de France survolée de manière incessante par les avions arrivant à l'aéroport de Roissy ou bien en décollant.
Luzarches.
Plus au nord, commence la forêt d'Ermenonville et sa mer de sable, pays de Rousseau - Vémars non plus n'est pas loin - et des Filles du feu de Nerval.
L'église est à proximité immédiate de la route qui, après Chantilly, permettra de rejoindre Creil et puis Amiens et enfin Lille, l'autre route du Nord. Notre église est là depuis le VIIIe siècle et dédiée aux deux saints depuis lors.
Nous nous sommes amusés devant une statue d'un des deux saints, sans qu'il soit possible de savoir lequel elle représentait. Nous en avons longuement débattu convenant tous deux que l'élément sans doute le plus intéressant et le plus étrange était bien cette barbe noire qui pointe sous la peinture de la chair. À moins que ce ne soient les traces de la fumée des cierges brulés depuis des siècles à ses pieds.
Nous avons aussi appris que la châsse contenant les reliques des saints avait été volée, ce qui ne désarmerait pas le pèlerinage de l'Ordre des médecins jusqu'à Luzarches, en mémoire de leurs saints patrons. La collégiale aujourd'hui détruite abritait au XIIe siècle une importante confrérie à la vocation médicale, chirurgicale et pharmaceutique dont le souvenir ne s'est pas éteint. Mais, pour aller à Luzarches, nous avons pris le train, qui ne met qu'un peu plus d'une heure. C' était aussi pour saluer la mémoire des édiles luzarchois qui jadis se battirent pour obtenir que la ligne passe par leur ville. Depuis la gare, après avoir rejoint à pied la rue du-Pontcel via la rue Erik-Satie, il faut prendre à gauche la rue Saint-Damien. Damien était d'ailleurs très fier et moi un peu contrarié, me sentant injustement effacé.

Par Pierre Poschadel — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=31311393




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lundi 26 février 2024 mardi 26 février 2002 Il aurait été sans doute préférable de visiter les églises dédiées à Côme et à Damien dans le nord de la France au printemps ou à l'été. Mais, nous avons préféré garder la belle saison pour l'Italie et la Syrie. Et c'est ainsi que nous nous sommes retrouvés sur cette route droite à faire peur entre Noyon et Amiens à la rencontre de l'église Sermaize. La difficulté avec ces églises de campagne qui ont été trop souvent pillées, c'est de s'assurer que l'on pourra y entrer et donc de joindre les associations paroissiales pour montrer patte blanche. Sans exception jusqu'à présent, notre projet rencontre l'approbation de nos interlocuteurs, qui, le plus souvent d'ailleurs, sont des interlocutrices. Parfois, comme à Luzarches, nous voyons même le curé. Il a d'ailleurs pris plaisir à nous faire découvrir son église dans les moindres détails et il en connaissait parfaitement l'architecture et l'histoire.

L'église de Sermaize est fort jolie, avec sa nef du dix-septième ou du dix-huitième siècle campée sur un soubassement plus ancien. L'intérieur donne toute sa place à la sculpture sulpicienne, si bien qu'on en oublierait la petite vierge à l'enfant qui date, elle, du quinzième siècle. Tant mieux, c'est un trésor qu'il faut conserver jalousement. C'est une église de campagne comme on imagine les églises de campagne, ointe de dévotion et de prières naïves. Côme et Damien auraient pu y faire des miracles. Nous n'avons rien trouvé sur les raisons qui ont fait que l'église porte leur nom.

Nous nous sommes attardés dans le cimetière qui jouxte l'église, trouvant sur les tombes des noms dont on doit sans difficulté retrouver les familles dans le village. Malgré le froid que le grand soleil n'atténuait pas, nous avons passé un moment calme et recueilli.




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samedi 16 mars 2024 samedi 16 mars 2002 Bientôt l'Italie. Ou plutôt, bientôt Rome  ! Je suis déjà allé plusieurs fois à Rome, mais je ne suis jamais allé visiter, ni même voir, la basilique qui porte le nom des deux saints guérisseurs, qui prennent les doux noms dans la langue de Dante de Cosma et Damiano. Je lis que la basilique a été construite à l'emplacement du temple de la paix, ce qui est de bon augure pour nos deux frères sanctifiés. Elle est à deux pas du Colisée.

Comment est-il possible de se passer de Rome. Je me ferais bien l'obligation d'y aller au moins une fois par an. Après tout, je vais dans de nombreux endroits qui ne me sont pas nécessaires, qui ne sont pas nécessaires. Mais, Rome, c'est différent. Sans doute que Paris, c'est différent aussi. Mais, je vis à Paris, quand je ne vis pas à Rome.

J'aurais bien réservé une chambre à la Villa Médicis, mais je ne sais pas comment faire. Dans les temps anciens, il fallait connaître le directeur et je ne connais pas ce Bruno Racine qui la dirige depuis 1997. Tant pis... ou tant mieux. Nous irons loger sur les bords du Tibre. C'est encore possible en cette saison. Nous arriverons à Rome le 3 mai. Je ne sais comment attendre.




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mercredi 20 mars 2024 mercredi 20 mars 2002 En attendant Rome, nous irons fêter le printemps du côté de l'Alsace, à une vingtaine de kilomètres de Strasbourg, à Ernolscheim-Bruche exactement, pour voir l'église dédiée à Côme et Damien. Au moins, nous n'aurons pas cette fois à nous disputer pour savoir à qui sont attribuées les statues des deux saints dans l'église. Elles sont là-bas nettement identifiées, datant seulement de 1864. Côme a l'air plus jeune et moins fatigué que son frère. Cela me donnera un prétexte pour taquiner mon compère.

Nous nous renseignerons sur place sur leur origine.

Ces statues sont donc antérieures à l'annexion par l'Allemagne, alors que d'autres décors datent de 1913. Cette église est très curieuse, car on ne saurait dire de prime abord de quand elle date. Si les photos sont justes, l'intérieur est net et sobre comme un temple calviniste.

Nous louerons peut-être des vélos. En Alsace, on est presqu'en Allemagne et les déplacements à deux roues sont facilitées par les nombreuses et belles pistes cyclables. Il faut suivre la route des Romains. Encore une fois... Si l'église est d'époque moderne, la chapelle dédiée aux saints datait de 1666. Certes, c'est après les Romains... Mais peut-être trouverons des membres d'une société savante locale qui nous éclaireront sur tout cela...

Saint Côme Saint Damien




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mardi 26 mars 2024 mardi 26 mars 2002 Dans deux jours, nous partons en Corse. Ce n'était pas notre idée première, mais un ami nous a signalé une église dédiée à nos deux saints dans un village à une vingtaine de kilomètres de Bastia, très exactement à Farinole. L'église est du XVIIe siècle et les notices nous apprennent qu'elle témoigne de la période baroque de l'architecture cultuelle corse.

Nous avons réservé un avion pour Bastia et nous louerons une voiture à l'aéroport.

Nous avons pris une décision importante. À voyager ainsi tout en vivant frugalement bien que confortablement, nous avions presque oublié que nous sommes médecins tous les deux et que l'on pourrait avoir besoin de nos services sans que nous ayons à attendre un hypothétique appelle du type : « Est-ce qu'il y a un médecin dans l'avion ? », ou dans le train, c'est égal. Pour autant, nous n'allons pas installer un cabinet itinérant ni nous installer sur la place du village en proposant nos services. Et puis, pour être en conformité avec la vocation de Côme et de Damien, il nous faudrait exercer la médecine gratuitement et nous pourrions passer pour des rebouteux. Bref, l'idée est à creuser.

Pour le moment, il faut préparer ce voyage vers la Corse au printemps et nous dire que nous avons bien de la chance.

Fondation du patrimoine




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jeudi 28 mars 2024 jeudi 28 mars 2002 C'était aujourd'hui le départ pour Farinole, que Damien s'obstine à vouloir appeler faribole. D'ailleurs, Faribole est plutôt le terme utilisé pour la plage, quand l'église se trouve dans le hameau de Bracolaccia. C'était pour lui comme pour moi la première fois que nous venions en Corse, dans la splendeur de l'île Corse. On comprend évidemment mieux pourquoi le peuple corse est si jaloux de son île. Comment la décrire ? Ce serait l'enfant de la Provence et de l'Italie, un enfant tapageur et séducteur mais à qui on pardonne tout ou presque.

Avant d'arriver par la route côtière sur la grande plage de Farinole, chaque virage offre un point de vue de carte postale sur la baie et le mont qui se profile pourrait tout aussi bien être le Vésuve. Nous avons fait un détour par la tour de Farinole et pour mettre trois orteils et demi dans la mer encore trop froide pour nous baigner. Nous pouvions être partout sur les bords de la Méditerranée, sur une île Baléare ou bien encore à proximité de Marseille. Peu importait d'ailleurs tant le moment était doux.

Nous logeons dans un cabanon loué par un homme qui se fait sans doute plus bourru qu'il ne l'est vraiment. Nous avions révélé notre profession et dit notre disponibilité. Toute la famille a pris rendez-vous, jusqu'au fils de 15 ans qui avait quelques questions à poser qu'à l'évidence il ne souhaitait pas poser au médecin de famille.



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mercredi 3 avril 2024 mercredi 3 avril 2002
Comment quitter la Corse en avril ? Peut-on imaginer cadre plus enchanteur que cette île si somptueuse au printemps. Cela nous a donné envie d'aller explorer sa grande sœur, la Sardaigne un peu plus au sud. Nous avons cherché s'il existait une église, un sanctuaire, un monastère, quelque lieu dédié à nos saints préférés et pouvant nous donner un prétexte à cette escapade imprévue... et nous avons trouvé une église, et non des moindres, à Ozieri. C'est un petit périple depuis la Corse, bien que ce ne soit pas très loin... à peine trois heures de trajet, traversée en ferry comprise, mais encore faut-il que tout cela concorde.

Ce n'est pas bien grave. Nous irons à Ozieri, quitte à passer toute une journée, voire davantage à Bonifacio. Nous n'emportons pas la voiture de location. Nous en louerons une autre en Italie. Ce sera plus simple. Nous avons parlementé avec l'agence de Bastia pour qu'elle accepte d'envoyer quelqu'un récupérer demain la voiture à Bonifacio. Une fois encore, notre qualité de médecins a aidé. Tout ce sud italophone ou presque est un pays de « dottore », qu'ils soient docteurs en médecine, en littérature ou en affaires mafieuses. Mais bon. Nous avons une chambre à Bonifacio. On viendra chercher la voiture, nous prendrons le bateau vers la Sardaigne pour débarquer à Santa Teresa di Gallura et ce sera merveilleux.

C'était en fait si aisé à organiser que Côme et Damien ont dû intercéder en notre faveur.




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samedi 13 avril 2024 samedi 13 avril 2002 La Sardaigne rivalise de beauté avec la Corse et son italianité lui donne pour un Français un bonus évident. Le dépaysement linguistique est le premier palier du dépaysement et non le moins important.

Nous avons cherché longtemps l'église de nos deux saints à Ozieri. Nous avions vu sur le plan qu'elle était proche de l'hôpital mais elle en est si proche qu'elle est quasiment dans l'hôpital, non pas comme peuvent l'être les chapelles, parfois, dans les hôpitaux français, mais dans la continuité du bâti de l'hôpital, comme une insertion. Sans doute, ainsi, l'esprit des saints y officie-t-il encore plus efficacement.

Côme et Damien sont en bonne compagnie, parce qu'à deux pas de leur église se trouvent les grottes de san Michele, qui sont des grottes dans lesquelles on a trouvé des objets du néolithique. L'archange Michel, rappelons-le, est en quelque sorte le chef des anges, celui qui terrasse le mal.

On lit que les grottes de san Michele possédaient  jusque dans les années 1950 une vaste salle, avant qu'elle ne soit détruite pour laisser la place à un terrain de football. C'est qu'en Sardaigne comme dans toute l'Italie, le football, le fameux calcio, a quasiment rang divin.




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lundi 15 avril 2024 lundi 15 avril 2002 Nous avions de longue date décidé de passer par Lyon au retour. Nous avons cependant renoncé à prendre un avion de l'aéroport d'Olbia à la capitale des Gaules. C'est beaucoup trop cher, presque plus cher qu'un vol vers New-York. Nous avons donc choisi, pour le même prix ou presque, de repartir via la Corse vers Marseille en ferry.  C'est  un trajet que je voulais faire depuis longtemps, depuis l'enfance quand depuis les plages du Var, toute la famille s'amusait à guetter les bateaux de Corse qui allaient et venaient à l'horizon dans leurs différentes livrées.

Le passage par Lyon s'impose pour pouvoir visiter l'église de Caluire, près de Lyon, qui est dédiée à nos deux saints. C'est la paroisse la plus récente de la région lyonnaise et l'église a été construite dans les années 1960 et, très exactement, consacrée lors des célébrations de Pâques en 1963. Il faudrait savoir si le peu d'attrait architectural de l'édifice est intentionnel ou non. Ce  qui est vraiment original, c'est que le premier abbé, Robert Côte, était docteur en médecine et a mobilisé  les dons des médecins et des pharmaciens, qui ont contribué pour un tiers à la construction de l'église.

Puis, nous irons vers la Drôme provençale.




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jeudi 25 avril 2024 jeudi 25 avril 2002 Nous avons loué une voiture à Lyon pour aller voir une petite chapelle dédiée à nos saints non loin du chef-lieu de la Drôme, à l'écart d'un minuscule village qui doit compter au plus une quarantaine d'habitants : Vers sur Méouge. Ce paysage de la Drôme provençale est en quelque sorte une préparation à notre voyage vers la Syrie, tant, si l'on en croit les photographies, ces collines méditerranéennes se retrouvent à l'identique au Levant.

La chapelle, du XIIIe siècle et remaniée au XVIIe est une chapelle de procession. On la dirait imaginée pour admirer le paysage dominé par une colline qui, si l'on en croit la carte, est aussi un château d'eau où naissent des affluents de la Méouge.

Il ferait bon vivre ici, dans cet écart et pourquoi pas y recréer un pèlerinage votif. Cela pourrait être amusant.

En attendant, il faut espérer que ce pays reste démocratique. Nous sommes comme beaucoup sous le choc d'un deuxième tour des élections présidentielles qui opposera un vieux routard gaulliste à un ancien para proche de l'O.A.S. Cette plaie là est une plaie rongeante et il ne sera pas facile de la guérir.




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vendredi 3 mai 2024 vendredi 3 mai 2002
Nous voilà comme prévu en Italie. Certes, il y a un mois, nous étions déjà en Italie, mais nous étions alors en en Sardaigne, mais la Sardaigne est à l'Italie ce que la Corse est à la France, à cela près que l'Italie a aussi la Sicile. De toute façon, la comparaison n'est pas pertinente. Nous sommes à Rome et Rome, capitale de deux États que sont l'Italie et le Vatican. Précisons donc que nous sommes à Rome en Italie. Nous n'avons pas prévu de rendre visite à Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II.

C'était une très mauvaise idée de vouloir loger sur les bords du Tibre. Le trafic est incessant sur les larges avenues qui le bordent. Il aurait fallu essayer de se faire loger dans l'hôpital de l'île Tibérine, mais nous n'avons pas tenté, même en nous prévalant de notre profession et de nos prénoms prédestinés. En Italie, nous nous nommons respectivement Damiano et Cosma. Si bien que Damien ne cesse, potache, de m'appeler Vladimir. Allez savoir pourquoi.

Nous irons voir la basilique demain, en espérant qu'elle soit ouverte. En ce vendredi soir, nous savourons la douceur romaine des fins de semaine au printemps. Il est d'ailleurs bien avancé cette année et il fait déjà assez chaud. Nous irons à pied depuis notre hôtel, longeant le forum. Ce sera une sorte de weekend à Rome comme dans la chanson.




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jeudi 9 mai 2024 jeudi 9 mai 2002 Nous préparons notre voyage pour la Syrie. J'irai chercher les visas au consulat demain lundi. Nous avons pris un avion pour Alep. En revanche, impossible de réserver une voiture sans chauffeur. Ce n'est pas très grave, mais encore faut-il trouver un chauffeur qui sache où se trouve Cyrrhus. Quand on regarde la carte, on voit bien que la ville se trouve à la frontière turque actuelle. C'est à cause de la France qui a donné aux Turcs le Sandjak d'Alexandrette en espérant garder ainsi la Cilicie, qu'elle ne gardera pas non plus. En fait, c'est une même terre qui est celle de la plaine d'Antioche.

Nous logerons à Alep à l'hôtel Amir, aux portes du souk.

Encore quelques jours d'attente. Notre avion est le 25 mai.

Damien et moi nous entraînons à apprendre quelques mots d'arabe. Il n'est cependant pas certain que cela nous soit vraiment nécessaire. Il y a souvent quelque chose de pathétique chez les touristes qui baragouinent en voulant montrer leur bonne volonté parce qu'ils savent dire bonjour, merci et au revoir. Tant pis. Cela trompe l'attente.




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mercredi 15 mai 2024 mercredi 15 mai 2002
Plus que dix jours à attendre. En attendant, nous avons repris l'un et l'autre des vacations à l'hôpital d'Amilly, qui est une commune voisine de Montargis où se trouve tout ce qui prend un peu de place. C'est à qu'on trouve la zone commerciale, l'hôpital, le plus grand cimetière et bien sûr le crématorium.

La direction de l'hôpital était soulagée de nous voir revenir, même pour quelques jours. Les élections sont curieusement toujours des périodes qui remplissent les hôpitaux et parfois même les crématoriums - peut-être devrait-on écrire les crematori -. Il y a en premier lieu les accidents de la route, qui sont nombreux dans les campagnes et souvent violents. Et puis, il y a toutes les vieilles personnes qui ne sont plus vraiment en âge de sortir et qui tiennent absolument à aller voter. Il attrapent toutes les maladies pulmonaires qui passent et tombent aussi beaucoup.

Ainsi, depuis Montargis, nous rêvons à nos récents séjours méditerranéens. Nous allons quand même essayer de partir ce weekend. Peut-être en Bretagne où l'on trouve sans doute des églises consacrées à nos saints fétiches.




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samedi 25 mai 2024 samedi 25 mai 2002
C'est aujourd'hui. Nous partons tout à l'heure pour Damas. Dans quelques jours, nous serons sur les lieux où ont exercé, d'abord, Côme et Damien, au nord-est d'Alep, dans un paysage que nous espérons magique et préservé. Nous partirons directement à Damas en car. On nous a assuré que le service des cars était fiable et confortable, ce dont je ne doute pas. Il n'a pas été possible de trouver une voiture sans chauffeur. Nous verrons sur place comment nous rendre de façon pratique à Cyrrhus et plus largement sur les sites remarquables du plateau calcaire syrien.

Que prendre dans les valises pour un tel voyage ? Pas grand chose en fait, mais nous partirons en costumes deux pièces. En effet, un collègue libanais, toujours tiré à quatre épingles, nous a dit que jamais nous ne serions pris pour des médecins si nous n'étions pas en tenue de médecins, c'est à dire, d'une certaine façon, en tenue coloniale. Nul doute que si nous tentions de nous habiller comme l'étaient nos deux saints préférés, nous passerions pour des fous... que nous serions sans doute. Nous porterons sans difficulté le costume si cela peut aider, délaissant cependant la cravate.




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lundi 27 mai 2024 lundi 27 mai 2002
Nous avons passé tout le dimanche dans Damas. Damien voulait voir la porte de Saint Paul par laquelle le saint du même nom se serait enfui de la ville pour entamer son périple d'évangélisation. Les guides sont pourtant formels. La porte date du 12e siècle quant à la chapelle éponyme elle a été installée par les Français lors de leur mandat colonial sur la Syrie.

Il n'y a pas trace de nos deux saints Côme et Damien dans la capitale syrienne. Ils vivaient dans la plaine d'Antioche, tournés vers la Méditerranée et vers le nord. Damas est la perle du désert, une oasis. Ils n'avaient aucune raison d'y aller. D'ailleurs, leurs tribulations les conduisirent vers la Cilicie et le tortionnaire proconsul Lysias et non vers la Judée ou l'Arabie Pétrée.

Nous avons acheté nos billets d'autobus. La visite se précise. Alep nous attend et avec elle le fameux amphithéâtre de Cyrrhus, berceau de Côme et Damien et de leurs trois frères eux aussi martyrisés par l'affreux Lysias.




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vendredi 14 juin 2024 vendredi 14 juin 2002 Notre avion avait du retard. Nous sommes restés six heures à l'aéroport de Vienne en correspondance. Nous aurions pu aller voir la ville, mais, nous devions rester dans ces couloirs sans charme, ces magasins emplis de colifichets. Mais, nous avions avec nous nos souvenirs. Cyrrhus reste dans cette partie de la mémoire qui est la mémoire vivante. Depuis l'amphithéâtre, on peut voir toute la plaine d'Antioche et imaginer ce que voyaient les spectateurs. Alors, il se passe dans le corps quelque chose de formidablement étrange ou bien encore d'étrangement fort, comme si le temps était soudainement aboli, non seulement le temps historique, mais le temps passé là à regarder le paysage qui peut être deux heures comme des minutes.

Nous reprenons le travail à l'hôpital d'Amilly le 24. Cela nous donne un peu de temps pour classer les photographies et pour préparer nos prochains voyages. Nous repartirons le 8 juillet, si tout va bien et surtout si on nous laisse partir. La pénurie des médecins est telle que nous serons peut-être contraints de rester un peu plus longtemps en Gâtinais.




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lundi 24 juin 2024 lundi 24 juin 2002 Ce matin, j'ai constaté qu'il y avait une queue plus longue que d'habitude encore devant la porte de ma consultation. J'ai cru qu'elle était un peu plus longue, mais j'ai bien dû constater qu'elle était beaucoup, beaucoup plus longue. J'ai appelé Damien pour lui en faire part et il m'a dit qu'il en était de même pour lui. Mais, il ne s'agissait pas d'une épidémie nouvelle, car, nous étions apparemment les deux seuls médecins de l'hôpital à connaître un tel surcroît d'affluence.

Ma première patiente était une dame maghrébine de 64 ans, très usée physiquement, accompagnée par son mari, qui ne l'était pas moins. J'étais étonné, car, très souvent, les dames de cet âge là n'aiment pas consulter d'elles-mêmes des médecins hommes.

Je lui ai posé les questions d'usage. J'ai ausculté les bronches et le cœur, pris la tension, qui était assez basse. Je lui ai demandé si elle avait mal quelque part et elle m'a dit qu'elle avait mal partout. Cela est assez courant. Visiblement, elle ne voulait pas désigner la partie de son corps qui lui faisait mal. Je lui ai demandé si elle voulait voir une femme médecin. Mais là, elle s'est précipitée sur ma main et l'a embrassée en me remerciant et en me disant qu'elle était guérie.

La même chose s'est reproduite avec environ un patient sur trois toute la matinée. Tous les patients n'étaient pas arabes. À l'heure du déjeuner, je n'en pouvais plus. J'étais épuisé. J'ai retrouvé Damien, qui avait connu la même matinée que moi. Le couloir de la consultation était noir de monde. J'ai annoncé que je ne consulterai pas l'après-midi et j'ai cru j'allais devoir appeler la sécurité. Les gens ont fini par partir. Je me demande bien ce qui se passe.




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mercredi 26 juin 2024 mercredi 26 juin 2002 Nous commençons à comprendre ce qui s'est passé. Quand nous étions en Syrie, à Alep, nous avons pris un chauffeur pour aller à Cyrrhus car il n'y a pas de location de voitures sans chauffeur à Alep. Quand celui-ci a appris que nous étions médecins, par le portier de l'hôtel Amir, il nous a demandé si nous pouvions nous arrêter à Afrine pour que nous puissions examiner une tante à lui qui était très malade. Nous avons imprudemment accepté, sachant que sans moyen d'investigation biologique ou radiologique notre diagnostic risquait d'être restreint. Nous avons trouvé une femme d'une cinquantaine d'années qui paraissait en avoir une quinzaine de plus, usée par une vie de corvées. Avant ses études de biologie, Damien avait été kinésithérapeute. Il a pu soulager la femme qui avait en fait le dos bloqué mais qui avait longtemps tu sa douleur pour ne pas devoir cesser les tâches domestiques. Nous n'avons pas compris pourquoi elle n'avait pas consulté à Afrine ou à Alep où il y a d'excellents médecins, dont certains de rang international.

Bref, la femme a été soulagée. Nous avons été chaleureusement remerciés. Nous n'avons évidemment pas accepté d'argent et nous sommes partis à la rencontre des ruines de Cyrrhus. Nous avions oublié un peu cette histoire. Ce que nous savions pas, c'est qu'elle avait prospéré dans la communauté chrétienne d'Afrine, puis d'Alep. On a commencé à dire que les saints guérisseurs étaient revenus. Le bouche-à-oreille a fait le reste. Que la rumeur ait atteint le Montargois demeure un mystère.

Et puis, nous approchons du premier juillet, qui est le jour de la fête des deux saints dans l'Église orthodoxe.




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lundi 8 juillet 2024 lundi 8 juillet 2002
Nous n'avons bien sûr pas pu y échapper. La queue des patients tous les jours devant nos cabinets de consultation n'a pas manqué d'alerter la presse locale et bientôt la presse nationale. La troisième chaîne de télévision a fait un reportage. Damien et moi avions décidé de n'accorder, bien sûr, aucun interview, ni à la presse écrite, ni aux médias audiovisuels. La caméra de la chaîne locale a donc balayé longuement la queue immense de gens attendant de rencontrer l'un ou l'autre de nous et d'interroger quelques personnes sur les raisons de leur venue. Il s'agit le plus souvent de personnes qui ont vu de nombreux médecins et qui n'ont pas trouvé de diagnostic qui leur convienne. Car, ce que viennent chercher les gens, c'est d'abord un diagnostic et donc d'abord une parole et parfois un geste, qui n'est pas un geste de compassion, mais un geste de soin.

C'est d'ailleurs peut-être ce que faisaient les deux saints, à la suite de Jésus qui guérissait ainsi. J'ai toujours été impressionné par le passage de l'évangile où il s'écrie soudain qu'on l'a touché car, il a senti une grande force sortir de lui. Il est vrai que tout cela nous fatigue au-delà de ce qui est possible. Nous avons prévu que nous resterions à Amilly jusqu'au 12 juillet. Puis, nous repartirons en voyage, en espérant que la rumeur ne nous suive pas.





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vendredi 12 juillet 2024 vendredi 12 juillet 2002 Nous avons pensé qu'un peu de Normandie pourrait nous faire du bien et nous sommes partis, presque incognito, vers la Manche et plus précisément vers Carentan. Nos deux saints éponymes sont ou étaient beaucoup invoqués dans la Manche, notamment pour soigner les coliques et la maladie du carreau, qui se traduit surtout chez les enfants par un ventre dur et douloureux. Quand c'est bénin, c'est une infection des glandes mésentériques. Mais un ventre dur et douloureux peut être aussi le symptôme du péritonite et il n'est pas certain que nos deux saints aient pu dans ce cas être bien efficaces.

On recense plusieurs églises autour de Carentan qui portent les noms des saints, qui sont toujours appelés pour soigner les coliques. C'est sans doute à cause des immenses marais du Cotentin, qui devaient favoriser ce genre de maladie dans les temps où l'hygiène n'était pas ce qu'elle est. D'ailleurs, aujourd'hui, on devrait plutôt les appeler pour éloigner les moustiques.

Nous avons été frappés par deux église, éloignées d'à peine quatre kilomètres l'une de l'autre et dédiées à nos deux saints. La première est Saint-Côme-du-Mont. Comme il n'y a pas de mont, ce « du Mont » peut être une déformation de « Damien ». C'est en tout cas ce que Damien a voulu croire, un peu vexé d'avoir ainsi été tronqué. L'autre église est juste de l'autre côté de la route nationale qui de Caen conduit à Cherbourg. Située à Angoville-au-Plain, elle a été transformée en poste de secours par des infirmiers américains qui y ont soigné les soldats américains, mais aussi allemands aussi bien que les civils, lors du débarquement de juin 1944. Elle est visitée à ce titre et l'on peut voir encore des taches de sang sur les bancs.

Personne ne nous a reconnus lors de notre visite. C'est sans doute que notre notoriété n'a pas dépassé le Montargois.




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jeudi 18 juillet 2024 jeudi 18 juillet 2002 Nous sommes arrivés en Gironde, à une soixantaine de kilomètres de Bordeaux. Il a fallu que je parvienne à convaincre Damien, qui boudait car le village où se trouve l'église que nous allions visiter ne se nomme que Saint-Côme, oubliant Saint-Damien. J'ai fait valoir, finalement avec succès, que l'église, elle, portait bien le nom conjoint des deux saints.

Et nous avons bien fait de venir ici. Cette petite église, au bout d'un petit village agricole à l'habitat dispersé est particulièrement touchante. En fait, c'est sa solitude qui est poignante, sinon son abandon, au milieu des tombes de l'enclos paroissial. Il n'y a plus de pèlerinage depuis longtemps ici et la fontaine adjacente dont l'eau était supposée soigner les maladies cardiaques semble bien tarie, sinon disparue, absorbée par les cultures.

Nous sommes restés longtemps devant le mur-clocher portant fièrement ses deux cloches, jusqu'à être pris de fou-rire quand Damien a jugé bon de préciser que nous étions un peu comme ces deux cloches, attachées l'une à l'autre et ne parvenant sans doute jamais à sonner pleinement à l'unisson.

Mais, n'est-ce pas le sort de tous les couples.







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vendredi 26 juillet 2024 vendredi 26 juillet 2002 Il serait préférable que nous arrêtions de voyager, que nous choisissions un lieu un peu reculé, une maison simple avec une grande cour non loin d'un village et au milieu des champs. Dans ce village, il y aurait une église ancienne qui serait dédiée aux deux saint Côme et Damien et dans cette maison, nous nous tiendrions tous deux, Côme et Damien.

On viendrait nous consulter et comme nos éponymes, nous serions anargyres, nous ne prendrions pas d'argent, exercerions gratuitement.

Sauf qu'il faudrait que nous ayons une fort bonne assurance qui nous protège des accusations de charlatanisme et de magie qui ne manqueraient pas de se produire. On rapporte qu'assez souvent, même des membres de la famille des médecins leur reprochent de leur avoir prodigué des soins gratuits sans les avoir guéris.

Sauf, qu'il faudrait aussi des bénévoles en masse pour contenir la foule qui voudrait nous consulter et qu'il faudrait ainsi les loger et les nourrir. Et eux aussi pourraient se retourner contre nous pour embauche illégale.

Sauf qu'il faudrait que nous soyons protégés jour et nuit contre les malfaisants.

Nous allons donc continuer à voyager discrètement et repartir vite vers l'hôpital public en essayant de faire taire cette rumeur imbécile qui veut faire de nous des mages guérisseurs.




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lundi 5 août 2024 lundi 5 août 2002
Une expression consacrée voudrait que l'on « remette l'église au centre du village ». C'est peut-être ce qu'ont pu penser parfois des paroissiennes et des paroissiens remontant péniblement vers la place depuis l'église Saint-Côme-et-Saint-Damien de Beaulieu-sur-Sonnette en Charente. Il serait faux de croire que c'est la mairie qui trône sur la place principale. Elle est un peu excentrée elle aussi sur la route départementale. Quant au cimetière, il est de l'autre côté, à près de 500 mètres à pied. Il s'agit sans doute du cimetière moderne, l'ancien enclos paroissial étant devenu une terrasse herbue. On peut tout imaginer pour expliquer cette position. La beauté du paysage depuis la terrasse suffirait, mais il s'agit d'une explication moderne. On peut aussi plaisanter en disant que, le lavoir étant au bas du chemin, les femmes étaient ainsi obligées de passer par l'église en remontant.

Cela fait quelques jours, maintenant, que nous sommes ici, ne parvenant pas, curieusement, à repartir alors qu'il le faudrait sans doute. Et ce n'est pas la Sonnette qui coule en bas du village qui nous donnera le signal du départ. Elle est un sous-affluent de la Charente, qui tire peut-être certains de ses charmes maléfiques de ce petit cours d'eau. C'est encore un pays de sorciers et de sorcières.

Nous sommes installés sur la terrasse, chaque jour à partir de 9h30.  Notre présence commence à s'ébruiter et nous avons de plus en plus de visiteurs qui viennent confier leurs maux. Ils ne sont pas encore assez nombreux pour que le trouble à l'ordre public soit caractérisé.  Peut-être parviendrons-nous à repartir après la fête mariale.







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samedi 17 août 2024 samedi 17 août 2002 La gendarmerie est venue nous déloger avant-hier, le matin, avant la messe solennelle de la fête mariale, en évoquant pour cela plusieurs raisons de droit, dont celle, la plus probante, d'occupation illégale de l'espace public communal. Mais il pourrait aussi s'agir, selon le capitaine, d'un exercice illégal de la médecine. Nous avons obtempéré pour ne pas contrarier les forces de l'ordre et surtout pour ne pas déclencher un battage médiatique que nous craignons toujours.

Ce qui est amusant, quand-même, c'est cette histoire d'exercice illégal de la médecine. Ce serait plaidable devant les tribunaux administratifs. D'une part, nous sommes médecins inscrits à l'Ordre et dûment diplômés  ; d'autre part, nous ne pratiquons aucun des actes prévus par la nomenclature, sauf à considérer qu'il s'agit de séances de psychothérapies alors que nous ne sommes psychiatres ni l'un ni l'autre. Dans ce cas, il faudrait fermer tous les cabinets des médecins généralistes qui reçoivent moultes patients auxquels ils ne prescrivent aucun médicament ni même un petit arrêt de travail. Mais, ils ont écouté les bobos de leurs patients et cela suffit parfois à les remettre un temps sur pied. Mais surtout, nous ne demandons pas d'argent. Nous ne flouons ainsi pas la sécurité sociale ni n'enfreignons aucune des règles de la déontologie médicale.

Nous allons regretter, très certainement, cet ancien enclos paroissial de Beaulieu-sur-Sonnette. Je crois pouvoir affirmer que nous y avons fait un peu de bien. Nous n'y avons fait aucun mal. Cela est certain. Nous n'avons interrompu aucun traitement en cours. Nous n'avons déjugé aucun de nos confrères. Nous n'avons prôné aucun régime alimentaire nécessitant l'achat de produits rares et coûteux. Nous n'avons effectué aucun prosélytisme religieux. Nous avons certes parfois procédé à l'apposition des mains.




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samedi 31 août 2024 samedi 31 août 2002 C'est notre dernier jour ici. La population a obtenu des autorités que nous puissions rester ici et faire les médecins anargyres jusqu'à la fin du mois. Nous avons même eu le soutien des médecins du coin qui ont dit au maire et au préfet qu'ils ne voyaient que des avantages à notre présence. D'ailleurs, quand nous suspectons un mal qui nécessite des investigations plus poussées, nous invitons évidemment les gens à aller les consulter.

Je ne pense pas que nous fassions œuvre de charlatan. Nous pratiquons en fait une médecine clinique. Nous avons eu déjà plusieurs témoignages d'amélioration de l'état d'une personne souffrant de maux chroniques. Nous ne coupons pas le feu, mais apaisons brûlures et coupures. Notre action est particulièrement efficace sur les maux de ventre de toute sorte.

Le plus étonnant, c'est qu'à mesure que le temps passe, nous prenons de l'assurance et nous croyons de plus en plus que nous pouvons soigner par la parole et par l'imposition des mais. Celle-ci demeure légère un peu comme on touche l'épaule de quelqu'un pour lui dire que ça va aller mieux en le raccompagnant à la porte du cabinet médical. Mais, à chaque fois, je sens une force qui vient de moi et qui va vers le patient. Damien ressent exactement la même chose.

Mais nous ne sommes ni sanctifiés ni saints. Ou bien peut-être pas encore.

Il reste à décider où nous irons demain.




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jeudi 12 septembre 2024 jeudi 12 septembre 2002
Nous sommes tout simplement rentrés chez nous, sans amertume et sans gloire, mais assez heureux de retrouver notre maison de Paucourt et notre bibliothèque. C'est déjà un peu l'automne au milieu des bois et nous devrons sans doute bientôt allumer le chauffage.

Nous avons trouvé cette grande maison il y a une dizaine d'années. Elle était trop grande pour lui, comme elle était trop grande pour moi, mais elle présentait de nombreux avantages. Nous avons donc décidé de la partager. Cela a été assez facile à effectuer. Elle a deux ailes opposées et nous avons installé dans chacune d'elles notre espace personnel. Le centre de la maison nous est commun. C'est en quelque sorte un monastère avec, certes, un peu plus de confort. Nous n'avons jamais eu de problème de cohabitation et nous n'en aurons sans doute pas après avoir vécu si près l'un de l'autre pendant des mois et souvent dans des espaces beaucoup plus exigus.

Nous avons décidé d'écrire un livre pour raconter nos voyages. Nous allons en faire le plan et nous partirons début octobre. Nous ne savons pas encore où, mais, aidés de nos livres, nous trouverons très certainement.




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lundi 16 septembre 2024 lundi 16 septembre 2002 Nous avons commencé à rédiger le plan du livre. Nous avons récolé toutes les photographies que nous avons prises. Heureusement que nous avions pris deux appareils. Les photos de l'appareil numérique ne seront exploitables que pour la maquette. Pour le tirage, c'est bien autre chose. La définition est très mauvaise.

Nous avons aussi décidé où nous partirons pour la fête des deux saints qui, dans l'église catholique, est le 26 septembre. Nous avons choisi sans doute de toutes les églises qui portent le nom de nos deux saints l'église celle qui sera la plus austère dans un des endroits parmi les plus froids de France. Nous irons dans les Ardennes, à sept kilomètres de la frontière belge au nord de Charleville-Mézières. Nous irons à Neufmanil. L'église date de la fin du 18e siècle, mais avant la Révolution française, en 1779. Elle n'a rien de particulier qui soit mentionné sur les notices patrimoniales. Mais, nous nous en moquons, car, ce qui nous importe, c'est qu'elle soit placée sous la protection de nos deux saints éponymes.

Nous irons par les villes qui produisent du vin de Champagne et nous nous sommes promis d'en rapporter quelques caisses au retour. Cela rendra notre voyage sans doute moins étrange. L'enthousiasme qui était le nôtre lors des premières églises que nous avons visitées au début de l'année est un peu retombé. Ce qui nous plairait désormais, ce n'est peut-être pas d'aller de lieu de culte en lieu de culte pour photographier les statues qui représentent les deux saints, mais plutôt de nous arrêter au bon endroit pour nous placer sous leur protection et tenter de faire un peu de bien avec notre médecine.

Soyons confiants et laissons-nous guider.
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mardi 24 septembre 2024 mardi 24 septembre 2002 C'est dans l'Église catholique l'avant-veille de la fête de nos deux saints. Indubitablement, nous en attendons un signe, petit ou grand, qui nous indiquera la ligne de notre conduite à venir. Peut-être sommes-nous devenus croyants... Quand toute cette affaire a commencé, c'était un jeu et c'était presque un jeu d'anciens carabins qui s'amusaient par avance à jouer à Côme et à Damien, d'abord sur les routes de France, puis en Syrie. Et puis, il y a eu la rencontre avec Cyrrhus, en Syrie. Et puis, il y a eu tous ces gens qui sont venus avec foi et qui de nous n'attendaient pas moins que l'on croie en eux.

Car, c'est cela que l'on ne dit pas assez s'agissant de la foi, c'est qu'elle est réciproque pour être véritable.

Dans les évangiles, les pauvres croient tout autant en Jésus que Jésus croit en eux. Quand Jésus rencontre la femme adultère, il croit indubitablement en elle et lui dit qu'elle doit aller et ne plus pécher, comme il dit à ses disciples d'aller et de convertir.

Peut-être la femme adultère, sans souci de chronologie, est-elle Marie-Madeleine. Peut-être devons-nous aller jusqu'au tombeau supposé de Marie-Madeleine pour recevoir le signe qu'elle voudra bien nous envoyer.

Nous sommes peut-être devenus croyants.




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vendredi 4 octobre 2024 vendredi 4 octobre 2002
Nous reprenons notre périple de visite des églises ou des monuments éponymes de nos deux saints. Il y en a en effet plusieurs que nous n'avons pas vues lors de notre précédent voyage et ce qui est amusant, c'est qu'elles sont accessibles facilement depuis l'autoroute A89, dont on ne peut pas penser qu'elle fût connue par nos deux bons saints.

Nous partons demain et nous verrons successivement :
  • l'église de La Chapelle dans l'Allier ;
  • celle de Prondines dans le Puy-de-Dôme;
  • celle de Pérols-sur-Vézère en Corrèze ;
  • puis celle de Montaignac-sur-Doustre, aussi en Corrèze ;
  • l'église de Chamboulives, toujours en Corrèze ;
  • l'église de Simeyrols en Dordogne ;
Et bien sûr nous ne prendrons pas l'autoroute.

Nous n'aurons pas pour autant épuisé la liste des lieux de culte portant les deux noms maintenant fétiches pour nous, mais nous aurons bien avancé.
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jeudi 10 octobre 2024 jeudi 10 octobre 2002
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mercredi 16 octobre 2024 mercredi 16 octobre 2002
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mardi 5 novembre 2024 mardi 5 novembre 2002

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samedi 9 novembre 2024 samedi 9 novembre 2002
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samedi 23 novembre 2024 samedi 23 novembre 2002
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lundi 9 décembre 2024 lundi 9 décembre 2002

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lundi 23 décembre 2024 lundi 23 décembre 2002