Diégèse | Les narratrices et les narrateurs | ||
Journal de Gustav en 2006 - 36 jours - Gustav vit et travaille à Marseille dans les Bouches-du-Rhône. |
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jeudi 4 janvier 2024 | mercredi 4 janvier 2006 | J'apprends
que Chirac a levé l'état d'urgence. Il était temps.
L'urgence n'est pas à maintenir fermés les quartiers et à stigmatiser
encore davantage leurs habitants. L'urgence est de tenir des promesses
de campagne qui ont déjà quatre ans, qui constataient une fracture
sociale, qui est cependant restée béante. Ici à Marseille, comme dans beaucoup de villes, mais plus encore que dans beaucoup d'autres villes, la fracture sociale est aussi une fracture géographique. J'ai traversé le centre-ville hier pour aller de la gare Saint-Charles au vieux-port et tout est dans un tel état de délabrement que j'avais hâte d'arriver. J'emménage ce weekend à Endoume dans un appartement avec terrasse qui donne sur la mer. Des amis marseillais me le prêtent quelques mois et au moins jusqu'à la fin de l'année. J'y serai bien je crois pour terminer le travail engagé. Pour l'instant, il est au point mort. Mais ce n'est pas la première fois que cela m'arrive. C'est la première fois que cela dure aussi longtemps. |
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samedi 6 janvier 2024 |
vendredi 6 janvier 2006 | Demain,
ce sera mon premier weekend ici et je crois que je vais aller marcher
dans les calanques si le temps est favorable. Je descendrai à
Castellane à pied et je prendrai le bus 21 jusqu'à son terminus. Je
pensais en arrivant que je pourrais faire du vélo, mais je dois me
rendre à l'évidence que, plus encore qu'à Paris, ce serait dangereux et
inadapté. Et puis, peut-être ne suis-je pas encore assez en forme pour
remonter jusqu'à Endoume. On verra au printemps. Je n'ai pas commencé à travailler vraiment, c'est-à-dire à rédiger. J'ai repris mes notes. J'ai essayé de réfléchir à quelques points particuliers, mais assez vite, je pense à autre chose et surtout à rien. C'est un peu comme si j'avais mis un disjoncteur dans mon cerveau et pris un abonnement électrique trop faible. Dès que je pousse un peu la réflexion, mes idées s'embrouillent. C'est assez dérangeant cette impression de confusion qui ne me laisse pas, même quand j'ai des activités qui n'engagent pas la réflexion. Mais, je sais bien qu'il n'y a pas d'activité qui n'engage pas la réflexion, même quand il s'agit de marcher dans les calanques. |
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vendredi 12 janvier 2024 | jeudi 12 janvier 2006 | Ce
serait
faux d'écrire que je m'habitue à Marseille, car je crains bien que l'on
ne
s'habitue jamais à cette ville. Même les Marseillais de longue date
sont parfois surpris et même exaspérés par cette ville qu'ils
aiment pourtant viscéralement. Le travail avance doucement. La promenade dans les calanques le weekend dernier m'a fait du bien. Je recommencerai le weekend prochain, sauf si je choisis une autre destination : peut-être les Goudes à moins que plus banalement, je ne me contente d'aller une nouvelle fois à Notre-Dame-de-la-Garde. Je pourrai toujours mettre un cierge pour gagner un peu d'inspiration. Je bloque toujours sur la même chose. Les deux personnages se sont rencontrés. Ils se plaisent. Ils sont attirés l'un par l'autre. Rien ne fait obstacle à leurs sentiments naissants et à leur attraction mutuelle. Mais, je suis incapable de les faire s'embrasser, d'écrire leur premier baiser. Bien sûr, il est encore plus impensable qu'ils couchent ensemble. Je vais finir par les conduire rapidement à la dispute fatale pour éviter l'obstacle. Mais, ce n'est pas ce qu'il y a dans la commande. Il est bien écrit que les personnages deviennent amants. Je ne sais pas si Notre-Dame-de-la-Garde est la mieux placée pour m'aider là-dessus. Je devrais plutôt prier la patronne des causes désespérées : Sainte Rita. |
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mardi 16 janvier 2024 | lundi 16 janvier 2006 | Je
vais
passer une semaine à la Cité radieuse du Corbusier. Il y a longtemps
que je voulais le faire et j'ai enfin trouvé une connaissance d'une
connaissance qui accepte de me prêter un petit appartement. J'ai déjà
dormi à l'hôtel, il y a quelques années. J'ai visité bien sûr
l'appartement-témoin et le toit-terrasse. Mais, c'est la première fois
que je vais pouvoir jouer à habiter vraiment cet immeuble mythique.
Malheureusement, l'appartement donne sur le boulevard Michelet et pas
vers la mer, que l'on n'aperçoit d'ailleurs que dans les étages
supérieurs. Cela n'a pas grande importance. Certes, la Cité radieuse a des allures de paquebot, mais aussi de forteresse plantée sur des fortifications de béton. On peut aligner les métaphores. Je pense que c'est aussi l'architecture d'un hôpital et même d'une prison. Je ne sais pas si Michel Foucault, notamment dans Surveiller et punir, a écrit sur l'architecture de l'architecte emblématique. Il aurait pu. Qu'est-ce qui rapproche l'hôpital et la prison ? Non seulement les cellules alignées, mais aussi le fait que ce sont des architectures qui savent ce qui est bon pour vous, qui savent ce qu'il vous faut. Il faut aussi que je retrouve les enregistrements du cours de Roland Barthes intitulé Vivre ensemble. Car, il s'agit aussi de cela, tout aussi bien dans les grands ensembles, que dans les hôpitaux et les prisons. J'espère que la situation ainsi créée va m'aider à écrire. |
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dimanche 28 janvier 2024 | samedi 28 janvier 2006 | Je
m'aperçois que je n'ai rien écrit ici depuis ma semaine à la
Cité radieuse. D'ailleurs, je n'ai pas écrit grand-chose non plus
pendant cette fameuse semaine et mon éditeur a refusé de prendre la
charge des frais, arguant que je n'avais qu'à utiliser une partie de
l'à-valoir qu'il m'a versé. J'aurais dû faire du cinéma... J'aurais
affirmé que j'étais en repérage de décor pour telle ou telle scène et
le tour était joué. Même pour le budget d'un feuilleton télévisé le
coût d'une semaine au Corbusier
ne représente rien ou presque rien. J'ai demandé à une amie marseillaise si elle pouvait me conseiller un psy. C'est la première fois que je connais une telle panne dans l'écriture de ces petits romans que je signe d'un pseudonyme absurde que, par contrat, je n'ai pas le droit de révéler. Nous sommes quelques-unes et quelques-uns à faire ce travail pour cet éditeur germanopratin qui y a longtemps trouvé une manière sûre de faire des bénéfices faciles. Il faudra qu'il réussisse cependant sa reconversion numérique. Certes, il a la trésorerie nécessaire pour ce faire, mais tout est question de rythme et d'à-propos... On m'a appelé tout à l'heure de Paris, pendant que j'écrivais ces lignes, pour me demander où j'en étais. J'ai reçu la consigne de me rapprocher du quartier du Panier. J'ai compris pourquoi je suis à Marseille... Il faut bénéficier du succès d'un feuilleton quotidien sur la troisième chaîne de la télévision publique française, dont les intrigues se déroulent à Marseille, tout particulièrement dans ce quartier du Panier. Mais je ne vais pas déménager. |
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jeudi 15 février 2024 |
mercredi 15 février 2006 | J'ai enfin
trouvé où habitent les personnages de la romance que je dois écrire et
que je vais donc écrire. Le problème est cependant que je dois
recommencer le récit depuis son début afin d'éviter des incohérences et
planter un autre décor que celui un peu kitsch que j'avais esquissé,
qui ressemblait à une « marseillade », si l'on veut bien me
passer ce barbarisme. Tout au sud de la ville, sur les collines qui jouxtent la Gineste et sa route qui va vers Cassis, il y a un grand ensemble dont on pourrait croire, quand on ne connaît pas Marseille, qu'il est une de ces cités des quartiers nord, gangrénées par le trafic. Il n'en est rien. Il s'agit de la plus grande copropriété d'Europe, la Rouvière. La Rouvière domine tout Marseille. La plupart des bâtiments ont été livrés en 1966 et les plus hauts, dénommés comme s'il s'agissait d'une station de ski « Super Rouvière », en 1969. L'immense cité a été l'un des points de réimplantation des rapatriés d'Algérie. Mais, ce qui m'intéresse, c'est que le soir, surtout l'hiver, elle se transforme au coucher du soleil en un gigantesque miroir incandescent. Plus je la vois, plus je suis certain qu'elle a abrité et qu'elle abrite encore d'indicibles amours. |
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samedi 17 février 2024 | vendredi 17 février 2006 | Moi
qui ne voulais pas déménager, j'ai changé d'avis et je déménage à la
fin du mois. J'ai trouvé un petit appartement dans la tour A de la
Rouvière. Il est petit mais il est au dix-neuvième étage et il a une
belle vue. Par chance, c'est le même propriétaire qu'à Endoume et il a
accepté de ne pas m'imposer de préavis. Je crois qu'il est
un peu flatté de louer à un écrivain dont il a pu constater jusqu'à
présent
les bonnes manières. Il est vrai que j'ai un mode de vie assez
solitaire et calme. Ce n'est pas moi qui vais déranger les voisins. Je
n'ai pas d'amis ni d'animaux de compagnie. Ce qui est bien, aussi, c'est que je serai près de Sugiton. En une bordée de bus jusqu'à Luminy, je suis dans les calanques et je sens que je ne vais pas me priver de promenades, surtout que j'ai remarqué que le texte avance mieux quand j'ai marché pendant la journée. Peut-être vais-je décider que l'un ou l'autre, l'une ou l'autre de mes personnages étudiera à Luminy. Il pourrait même s'agir de deux étudiants. Ou pire, d'une étudiante et d'un professeur. Mais je ne sais pas si l'éditeur acceptera. C'est peut-être un peu osé pour la collection. Il ne s'agirait pas d'entretenir les fantasmes coupables des adolescentes. |
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vendredi 23 février 2024 | jeudi 23 février 2006 | J'ai
observé hier un manège auquel je trouve un potentiel narratif
incroyable, voire même un potentiel romantique indéniable. J'étais à
mon bureau, que j'ai placé sous une fenêtre qui donne sur les immeubles
les plus hauts, nommés Super
Rouvière. L'après-midi le soleil donne dans les fenêtres,
obligeant
parfois les résidents qui sont en face à baisser les stores pour éviter
les reflets du soleil. Mais, levant la tête, gêné par un reflet
insistant, j'ai aperçu un miroir qui laissait émettre des reflets
intermittents. J'ai d'abord cru à un de ces miroirs de salle de bain
que l'on peut accrocher à un fil et qui se serait balancé avec la
brise, souvent assez forte dans ces hauteurs. Mais, j'ai dû rapidement
me rendre à l'évidence. Il s'agissait bien d'un rythme et ce rythme
revenait d'une manière que le vent ne savait pas produire. C'était un
signe et ce qui marque le signe est l'intention. Je devais tout à la
fois comprendre le signe et j'en comprendrai alors l'intention. Après plusieurs observations, j'ai acquis la certitude qu'il s'agissait d'un signal en morse. Je savais depuis l'enfance, sans doute grâce à quelque lecture oubliée, que le morse se codait en points et tirets, le point marquant un signal court et le tiret un signal long. Dès lors, il m'a été possible de reproduire le signal que j'apercevais et qui de manière répétitive, émettait : · - - - · - · - - - - · - · · - - · Il ne m'a pas été trop difficile ensuite de trouver que ce signal ne signifiait rien d'autre que « je t'aime ». À qui cela pouvait-il s'adresser et qui était l'émettrice ou l'émetteur de ce message amoureux et lumineux. |
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mardi 27 février 2024 | lundi 27 février 2006 | Quatre
jours que je passe à la fenêtre à guetter les échanges de signaux. Je
devrais écrire : quatre jours et presque
quatre nuits. En effet,
mes amoureux pratiquent aussi le morse la nuit. C'est d'ailleurs
beaucoup plus facile et il suffit d'une simple lampe de poche. Mais,
c'est en fait moins discret et si les amours ainsi transportées
s'avéraient clandestines, elles pourraient vite être découvertes. Il
suffirait d'un mauvais coucheur et mauvais dormeur pour se plaindre à
la copropriété de ces signaux nocturnes pour que tout cela prenne
rapidement une ampleur inattendue. D'ailleurs, à La Rouvière, on s'enorgueillit de l'ambiance villageoise et celle-ci va avec les ragots, les cabales, les haines et donc, les amours. Ragots, haines et cabales sont sans doute plus fournis que les messages d'amour envoyés en morse. Je me demande si je ne vais pas finir par interférer et envoyer moi aussi un message qui pourrait être par exemple : attention. Ce seul mot me demandera déjà un apprentissage intensif: .- - - . -. - .. --- -. |
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lundi 25 mars 2024 | samedi 25 mars 2006 | J'ai
rendez-vous tout à l'heure avec un des deux émetteurs ou émettrices des
messages en morse. Le rendez-vous ne se fera pas à La Rouvière. C'est
déjà un signe de la clandestinité des échanges. Nous avons rendez-vous
à Luminy, sur le campus universitaire, tout en haut, à la faculté des
sciences du sport. Je ne sais pas avec qui j'ai rendez-vous et même pas
s'il s'agit d'un homme ou d'une femme. Je suis impatient de savoir
enfin de qui il s'agit et quel est le ressort de cette intrigue
amoureuse. Les choses se sont faites simplement. Après avoir émis plusieurs fois « attention » j'ai enfin reçu un −− · ·−· −·−· ·· . Cela signifie « merci ». J'ai ensuite peu à peu varié les messages et demandé récemment un rendez-vous. La réponse est venue hier soir. J'ai un peu eu de mal à décrypter « Luminy - ·−·· ··− −− ·· −· −·−− ». Pourtant, il suffisait de suivre les lettres car l'alphabet morse fait correspondre un signe à chaque lettre. C'est pratique parce que l'on peut ainsi écrire tout aussi bien en anglais, en français ou en italien. Mais, il ne connaît pas les lettres accentuées. Monsieur Samuel Morse était américain. Il n'avait donc pas besoin de ces fioritures. |
11 |
samedi 6 avril 2024 | jeudi 6 avril 2006 |
J'ai
rencontré un des deux protagonistes des échanges en Morse et ce n'est
pas du tout ce que j'imaginais. J'avais échafaudé une amourette entre
deux adolescents ou post adolescents, peut-être du même genre ou de
religions différentes, bref, avec un interdit familial fort pesant sur
leurs idylles. Mais pas du tout ! Antoine a 82 ans. Il a été commandant de navires de pêche dans son plus jeune temps. Il est né en Algérie. Il est ce que l'on nomme encore parfois un « pied-noir ». Il est à la retraite depuis longtemps, à la suite d'un accident de bord, quelques années après le rapatriement. Quand il est arrivé à Marseille avec sa femme et ses enfants, ils ont d'abord vécu dans des habitations de fortune pas très loin du port et puis, dès que cela a été possible, avec les aides pour les rapatriés d'Algérie, ils ont pu acheter un appartement à la Rouvière et il n'a jamais quitté la cité depuis. Sa femme est morte en 2000 et ses enfants ne vivent pas à Marseille. Son garçon, comme il dit, est à Toulon, dans la marine nationale et sa fille à Nice où elle travaille dans un hôpital. Il m'a dit qu'il connaissait le Morse de son passé de marin. Je ne sais encore rien de la ou du destinataire des messages nocturnes. |
12 |
vendredi 12 avril 2024 | mercredi 12 avril 2006 | Ce
matin,
des larmes dans les yeux, Antoine m'a avoué à qui ses messages sont
destinés. Je n'avais nulle crainte de découvertes ou de représailles à
avoir. C'est à sa femme morte il y a six ans qu'il les envoie et pour
cela, il les confie à la Bonne-Mère. Antoine m'a invité à venir voir son appartement tout en me demandant de ne pas faire attention au désordre. De désordre, il n'y en a aucun et l'appartement est aussi tenu qu'un carré d'officier sur un navire. L'appartement est assez haut pour que l'on voie tout Marseille et bien sûr l'un de ses signaux principaux, la statue de la Vierge Marie, la Bonne-Mère. Antoine m'a dit qu'après la mort de sa femme, il avait eu beaucoup de mal à reprendre le dessus. Elle lui manquait trop. Alors, il est allé demander conseil un jour à la Bonne-Mère et là, il a très clairement entendu une voix qui lui disait : « Envoie-lui des messages de lumière et je les lui ferai parvenir. » Au début, il n'a pas compris ce dont il s'agissait. Il a pris le message dans un sens métaphorique. Et puis, il s'est souvenu du Morse et c'est ainsi qu'il a commencé à envoyer chaque soir ou presque des messages de lumière, en Morse, à l'attention de la Bonne-Mère, qui les transmet, bien sûr, à la chère défunte. |
13 |
mercredi 24 avril 2024 | lundi 24 avril 2006 | J'ai
rencontré Antoine déjà trois fois. Je l'ai même invité à déjeuner à la
pizzeria Les Tilleuls
qui est juste à côté de La Rouvière et où de très nombreux habitants
ont leurs habitudes. C'est un endroit très familial, toujours plein, où
l'on mange bien sans attendre et ce, aussi bien pour le déjeuner que
pour le dîner. Je ne sais pas si je vais faire quelque chose de son récit de vie. Ce n'est pas vraiment le créneau de la collection à laquelle je collabore et qui vise plutôt un lectorat populaire et plutôt féminin. Mais, après tout, Hemingway a eu un succès énorme avec Le vieil Homme et la mer. Certes, il était Hemingway et le film de 1958 a beaucoup contribué au succès du livre. Je vais quand même appeler mon éditeur pour lui demander s'il ne voit pas une collection dans laquelle un récit de vie aussi romanesque pourrait s'insérer. Après tout, la chalandise est potentiellement importante, ne serait que celle des rapatriés d'Algérie, des marins et des femmes de marins et de tous les nostalgiques d'un temps qui n'a cependant jamais véritablement existé. |
14 |
dimanche 28 avril 2024 | vendredi 28 avril 2006 | L'éditeur
m'a rappelé. Il est d'accord pour prendre le récit de vie d'Antoine
dans leur collection documentaire. Il est même particulièrement
intéressé par ce que je lui ai raconté de ce que je sais déjà. Pour
autant, il m'a aussi demandé de ne pas abandonner la commande d'une
romance marseillaise. Je ne sais vraiment pas si je vais parvenir à
écrire les deux textes en même temps. Mais, Antoine va m'être aussi utile pour la romance. En effet, outre son récit de vie, que je vais pouvoir enregistrer avant de le retranscrire en en gommant les marques de l'oralité, sans effacer la truculence de sa langue, Antoine est un merveilleux guide de La Rouvière et de ses environs. Il connaît parfaitement les calanques, qu'il évoque par le sigle S.M.S. La première fois, j'ai pensé que c'était encore de la télécommunication mais il s'agit seulement d'un truc mnémotechnique partagé par de nombreux marseillais pour se rappeler l'ordre des calanques en partant de l'ouest : Sormiou, Morgiou, Sugiton. Ce ne serait pas un mauvais titre : « Les calanques S.M.S. ». Je vais y réfléchir. Mais il faut que j'y réfléchisse vite. Je dois quitter Marseille le 17 juillet et c'est très proche quand on doit écrire deux livres à la fois, même quand il s'agit de petits livres. |
15 |
mercredi 22 mai 2024 | lundi 22 mai 2006 |
Il
fait beau. Je pourrais presque me baigner aux Catalans, si j'avais le
temps. Ma romance dans les calanques avance bien, je trouve. J'ai envoyé le premier chapitre à l'éditeur qui m'en a fait un retour enthousiaste. Je dois comprendre par là que je ne m'éloigne en rien du genre de la collection, ni par le thème, ni par la langue. C'est ce que l'on me demande. Il s'agit en fait d'être original sans l'être. En ce qui concerne le décor, il faut le décrire suffisamment pour mettre au lecteur de se projeter dans le lieu mais pas trop pour ne pas ennuyer. En effet, les descriptions sont réputées ennuyeuses. C'est cela en fait qui est ennuyeux, que l'on considère les descriptions comme ennuyeuses. Quand j'étais enfant, ou même adolescent, j'aimais les descriptions. Elles étaient pour moi comme une école du regard. Ne dit-on pas aussi d'un paysage qu'il est une cosa mentale. Ce que je nomme paysage, ce n'est pas seulement ce que je vois, cet arbre et cette colline ou bien encore ces nuages au-dessus d'un immeuble. Le paysage, c'est ce que je vois et la description que j'en fais mentalement, sans même m'y arrêter, enrichie, dans le meilleur des cas, de l'art que j'ai vu mais aussi de ce que j'ai lu. La plage des Catalans, à Marseille est une plage, mais elle est dans le même temps le théâtre des premières amours d'Edmond Dantès dans Le Comte de Monte-Cristo. |
16 |
samedi 15 juin 2024 | jeudi 15 juin 2006 |
Antoine
m'a organisé une rencontre avec un groupe de ses amis qui étaient
marins tout comme lui. Certains viendront avec leur femme, qui sont
donc des femmes de marin. Dans l'imaginaire populaire, ou plutôt, dans
l'imaginaire populaire qui est en train de disparaître, la femme de
marin est une figure de sainte, une figure mariale. Le personnage le
plus évocateur de cette patience infinie est évidemment Pénélope,
fidèle face aux prétendants au trône d'Ithaque et à la couche de la
belle reine esseulée. Les prétendants, on le sait, passeront tous au
fil de l'épée d'Ulysse. Quand je regarde la carte des voyages de l'Odyssée, je me dis que le héros et ses marins auraient pu aller jusqu'à Marseille. Ils vont bien plus loin puisqu'ils rencontreront Calypso du côté de Gibraltar. Ce serait amusant d'intercaler un chapitre à ceux écrits ou supposés écrits par Homère, qui serait Ulysse à Marseille, ou plutôt, Ulysse et les Phocéens. Nul doute qu'il y affronterait une sardine géante qui bloquerait le port pour l'empêcher de reprendre la mer. Mais ce sera pour plus tard. J'ai suffisamment à faire avec les deux textes que j'ai promis à l'éditeur et pour lesquels j'ai d'ailleurs touché des à-valoir. |
17 |
jeudi 27 juin 2024 | mardi 27 juin 2006 |
Il
fait de plus en plus chaud ici et la ville ralentit. Le soir, quand les
fenêtres de La Rouvière sont illuminées par le soleil couchant, on
pourrait craindre qu'elles ne fondent et parfois, on peut entendre les
joints de dilatation qui poussent les limites de leur fonction. Je m'intéressais à l'une des grandes figures mythologiques de Marseille, Marie-Madeleine, quand je suis tombé sur la sculpture de Donatello la représentant âgée, décharnée et comme vêtue de sa seule chevelure. Cette sculpture me touche au plus profond. Elle représente Madeleine vivante qui est morte, car son seul amour est mort et ressuscité. Noli me tangere. Ne me touche point. Mais, il n'a pas été nécessaire qu'elle le touche pour être à jamais brûlée par son amour. Je peux imaginer les pèlerins partant de l'embouchure de l'Huvaune et montant jusque à la grotte pour tenter d'apercevoir cette flamme vacillante. Et puis, un jour, elle n'était plus là et elle est demeurée là. |
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18 |
mercredi 3 juillet 2024 | lundi 3 juillet 2006 |
Plus
je vis à Marseille, plus je m'aperçois que la ville est une sorte de
conservatoire de la foi. Il faut que je fasse attention parce que cela
peut aussi, de ma part, être un signal faible que je voudrais amplifier
à des fins littéraires. Et pourtant, la Bonne-Mère fait partie de la
vie de nombreuses personnes, bien au-delà d'ailleurs des seules
communautés chrétiennes, qui, selon leur rite, sont plus ou moins
mariales. Il y a des musulmans qui révèrent celle qu'ils nomment
Maryam, sans admettre pour autant qu'elle avait enfanté vierge du fils
de Dieu. Cela, c'est presque superflu pour justifier la piété filiale
que la ville entière voue à la figure protectrice tout en haut de son
rocher. Marie-Madeleine est son double, ou plutôt celle qui prolonge sa présence sur la terre. Les païens diront qu'elle était en quelque sorte sa belle-fille. Pour autant, comme dans les films de Don Camillo, aucun sarcasme d'aucune sorte n'est toléré sur l'une comme sur l'autre, ne serait-ce que par superstition. Je devrais imaginer une histoire d'amour entre un jeune prêtre et une jeune fille promise au couvent. Je crains cependant que ce soit déjà fait depuis longtemps et que cela ne parle pas vraiment aux adolescentes d'aujourd'hui, qui sont l'essentiel du lectorat que je suis censé devoir toucher. Je vais encore y réfléchir. |
19 |
vendredi 5 juillet 2024 | mercredi 5 juillet 2006 |
Je
n'y arrive pas. Je n'ai pas écrit une ligne depuis le début du mois. Ce
n'est pas que je manque d'idées. C'est même le contraire. J'ai une
nouvelle idée chaque jour. Mais, cela ne fait pas une histoire et
surtout, cela ne me fait pas écrire. Les gens qui n'écrivent pas ou qui n'écrivent pas, surtout, par profession, pensent que c'est une sorte de passe-temps. Mais, ils se trompent. C'est un labeur. Moi, je ne sais pas écrire plus d'une heure d'affilée. Après une heure, il faut que je fasse autre chose. Puis je lis. La lecture de ce que l'on a écrit est une autre pratique de la lecture. SI je lis un texte publié, c'est-à-dire un texte qu'il ne m'appartient pas de modifier, je lis. Quand je lis un texte que j'écris ou même que j'ai écrit il y a longtemps, alors, j'écris encore. Je vais revenir aux bases que j'avais posées pour les deux livres promis à l'éditeur. Une bluette dans les calanques et la biographie amoureuse d'Antoine le marin. J'ai suffisamment de matériaux pour avancer correctement. Je ferai le point avec l'éditeur après la fête nationale. |
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mercredi 17 juillet 2024 | lundi 17 juillet 2006 |
C'est
cela qui est étrange dans l'écriture, même quand il s'agit d'une
écriture sur commande, c'est qu'elle se noue, qu'elle se bloque,
qu'elle s'enkyste et s'embourbe et tout à coup, sans que l'on puisse
savoir vraiment pourquoi, elle se dénoue, se débloque et se met à voler
et à survoler si bien que le pauvre auteur ne sort plus, ne fait plus
rien d'autre que d'écrire et termine ses journées et parfois ses nuits
complètement épuisé. Ce caractère d'autonomie de l'écriture renvoie à l'autonomie de la pensée qui parvient parfois, souvent, à déborder la conscience. On ne voudrait pas y penser, et l'on y pense. On ne voudrait pas penser du tout pour pouvoir enfin dormir et dans l'obscurité, les pensées obsessionnelles tournoient. Cela prend parfois un tour léger, comme cette ritournelle de l'été s'échappant par la fenêtre ouverte d'un autoradio un peu fort et qui ne vous lâche plus de toute la journée et qui impose jusque dans le lit ses trois ou quatre notes répétitives. C'est la bluette des calanques qui a le plus avancé. Je pense la terminer avant la fin du mois pour pouvoir la relire et l'envoyer à l'éditeur avant le 15 août. En ce qui concerne le récit de la vie d'Antoine, ce sera plus long, mais il y a moins de pression. Ce ne sera pas pour la rentrée littéraire de l'automne. Je vise l'automne prochain. Il y en a un qui n'a pas attendu la rentrée littéraire, mais il est vrai qu'il n'est pas non plus écrivain, c'est Nicolas Sarkozy qui se met en scène pour l'élection présidentielle de l'année prochaine. Le Monde en livre des passages et notamment celui où il évoque son couple avec Cécilia, couple qu'il affirme consolidé sans doute pour toujours. Il devrait être plus prudent. La société du spectacle dévore toujours ses figurants. |
21 |
mercredi 14 août 2024 | lundi 14 août 2006 |
Je
m'étais fixé
le 15 août pour le faire, mais ce ne sera pas avant la semaine
prochaine, le cachet de la
poste faisant foi. Je pense que ce n'est pas très bon. Je sais bien que
l'on ne me demande pas de faire de la grande littérature, ni même de la
littérature, mais, même dans le genre attendu, je ne pense pas que ce
soit très bon. C'est un peu comme quand on cuisine... Parfois, on met
tous les ingrédients, on suit la recette ligne à ligne et c'est raté.
On ne sait pas pourquoi. Les invités disent que c'est bon, parce qu'ils
sont gentils et polis sinon ils ne seraient plus invités, mais, on sait
bien que ce n'est pas très bon. Cette fois c'est la même chose. Il y a
la mer, le soleil, de l'amourette dans l'air, de la jalousie, de la
trahison, des baisers échangés, des ruptures de retrouvailles, des
promenades la nuit au clair de lune et la fin de l'été qui sert de
clôture à tout cela. Mais, mauvais signe : il m'est arrivé de
m'endormir sur mon ordinateur en l'écrivant. D'ailleurs, viendra le
jour, peut-être pas si lointain, où l'ordinateur pourra écrire tout
seul ce genre de texte insipide. Je pense justement que c'est pour cela
que ce n'est pas très bon, parce que je juge cette romance insipide.
Or, il faut un peu se prendre au jeu. Quand on écrit juste par
automatisme, c'est mauvais. J'espère qu'ils ne s'en rendront pas trop
compte et surtout qu'ils reconduiront mon contrat. En plus, mes textes
sont sous un nom de plume et le contrat précise que ce pseudonyme
appartient à la maison d'édition et ne m'appartient pas. Je peux donc
être aisément remplacé et j'aurai du mal à arguer du droit moral sur
mon œuvre. Je vais leur dire que le prochain sera meilleur et surtout moins cher. Il se passera à Bobigny. Ils n'auront aucun frais de déplacement et de bouche à me régler. |
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jeudi 22 août 2024 | mardi 22 août 2006 | « Yasmine
se souvenait de ce premier jour, quand elle avait
découvert les bâtiments de l'université après un trajet en bus qui lui
avait semblé long, mais moins long que celui qu'elle devait faire
pendant les vacances pour aller voir sa grand-mère qui habitait dans
les collines, ces mêmes collines que ses parents, même quand ils
s'exprimaient en français, appelaient toujours « djebel ». On
leur
apprenait à l'école que ces collines étaient les paysages héroïques de
la libération du pays. Elle ne savait pas enfant ce que ce la
signifiait. Et puis, adolescente, elle avait vite appris à se méfier de
la propagande du régime. C'était un peu comme un bruit de fond
incessant, dans les journaux, à la radio, à la télévision, qui ne
cessait jamais mais auquel elle ne prêtait pas vraiment attention.
L'important était pour elle de pouvoir aller en France faire ses études
d'ingénieur spécialisée dans le sport. La fédération sportive et ses
professeurs l'encourageaient et elle avait enfin obtenu la bourse
attendue. Elle irait étudier à Marseille, à Luminy. » J'ai commencé la fin de la romance. Je me demande si cette discrète allusion à la guerre d'Algérie et à la république dictatoriale qui gouverne le pays passera auprès de l'éditeur. Normalement, nos livres ne doivent comporter aucune allusion politique d'aucune sorte. Le personnage principal n'a pas d'opinions politiques. Il, et le plus souvent elle, est confrontée à des méchants qui sont des méchants sortis de l'Histoire et qui sont méchants dans un ordre moral et narratif et non dans un ordre social, politique et historique. Si les filles veulent s'émanciper, cela doit être pour fonder une famille et aider leurs pauvres parents, que ces parents les aiment ou pas. En choisissant une héroïne arabe et sans doute algérienne, je déroge un peu. On verra bien. De toute façon tout cela est discret et ces particularismes, jusques et y compris le prénom, pourront être éventuellement gommés à la relecture. La jeune Yasmine se nommera Paméla et ses grands parents vivront dans le Vercors, où ils auront nécessairement résisté contre les nazis pendant la dernière guerre mondiale. Mais, il se peut que l'évocation des Nazis soit déjà un peu trop politique. Bon, c'est fait. La romance est partie hier chez l'éditeur. |
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lundi 26 août 2024 | samedi 26 août 2006 | Maintenant
que je suis, sans doute provisoirement, débarrassé de la romance à
écrire, je peux me consacrer de nouveau, et entièrement cette fois, à
l'écriture de la biographie d'Antoine. J'espère que je ne vais pas
recevoir trop de demandes de modifications de la part de l'éditeur, car
je n'ai pas du tout envie de me replonger dans cette histoire écrite,
je l'avoue ici, un peu à la va-vite. J'ai vu Antoine hier et je l'ai trouvé fatigué. Il n'envoie plus de signaux ne morse à la Bonne-Mère pour lui confier l'amour de sa vie. Comme je le craignais, des voisins, que cela ne gênait certainement pas, ont fini par se plaindre à l'instrument de police le plus efficace quand on habite à La Rouvière, à savoir le syndic de la copropriété. Il a donc reçu un appel téléphonique lui demandant de cesser tout de suite, ce à quoi il s'est résigné. On ne lui a pas demandé d'aller se faire pardonner en montant les escaliers qui grimpent jusqu'à la basilique avec des pois-chiches dans les chaussures, comme on y contraignait jadis les pécheresses marseillaises. On raconte que les plus malines en faisaient subrepticement cuire un petit paquet avant de monter et elles substituaient aux cruels pois-chiches crus, durs comme des billes, les pois-chiches cuits, bien moins inoffensifs. Elles feignaient ensuite la peine et la douleur et retournaient pécher tranquillement. C'est en tout cas Antoine qui m'a raconté cette histoire apocryphe. Il ne m'a d'ailleurs pas dit si le pêcheur rencontrait parfois la pécheresse. Sans doute... Mais je crois qu'Antoine ne veut plus que j'écrive sa biographie. Il me dit que se tourner vers le passé le fatigue encore davantage. Je crois surtout que cette interdiction qu'on lui a faite d'envoyer des messages en morse, bien qu'elle paraisse anodine, joue sur son moral et le mine. Je vais peut-être joindre le syndic pour leur en parler. Ils arriveront peut-être à raisonner les voisins, qui ne doivent craindre ni une attaque extra-terrestre, ni une attaque des fellaghas. |
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dimanche premier septembre 2024 | vendredi premier
septembre 2006 |
Je
quitte Marseille demain. Je n'y retournerai pas. Pas tout de suite, pas
comme ça, pas pour écrire. Peut-être un jour pourrai-je y retourner
pour marcher, pour la lumière, pour entendre des gens parler autour de
moi avec cet accent qui n'est plus en rien celui de Pagnol ou de Raimu.
Mais, maintenant, je dois partir. Je n'ai rien à faire ici. Antoine
s'est enfermé dans le refus que j'écrive sa biographie. La romance des
calanques doit être réécrite presqu'entièrement. C'est ce que m'a
annoncé mon éditeur, certes un peu navré de cette situation. Mais, le
comité de lecture s'est demandé si j'avais pris des substances
illicites pour écrire ce texte, certes parfois d'une grande sensualité.
J'espérais qu'il pourrait passer. J'espère que derrière leur
pudibonderie de façade, ils auront pris un peu de plaisir à la lecture
de la version originale. Je vais le reprendre, je n'ai pas le choix.
Mais, pour ce faire, je n'ai pas vraiment besoin d'être à Marseille.
J'ai toutes les photos qu'il faut et j'ai fait des repérages pour
écrire plusieurs volumes. Je ne vais pas m'installer à Paris. J'espère trouver une petite maison à Bobigny. C'est là que se passera mon prochain livre. Je reprendrai la romance marseillaise et je commencerai la romance balbynienne. Car c'est ainsi que l'on nomme les habitants de Bobigny, ai-je appris. Ma prochaine romance se passera dans le grand hôpital de Bobigny. Je n'en connais évidemment pas l'intrigue, mais c'est le jeu. Je trouverai sans doute facilement. J'ai fait quelques économies. |
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vendredi 13 septembre 2024 | mercredi 13 septembre 2006 | Paris
doit être agréable au mois de septembre pour qui a la possibilité de
s'y promener sans contrainte. J'exclus de cette proposition les
touristes qui ont comme contrainte de devoir se promener à Paris. J'ai
souvent eu envie de tenter de voyager comme Raymond Roussel qui
s'enfermait dans un compartiment de train tous rideaux baissés, ne
voyant rien du paysage et se cloitrant ensuite dans une chambre d'hôtel
aux volets clos qu'il ne quittait que pour reprendre le train dans les
mêmes conditions. Je n'ai pas fait le voyage depuis Marseille dans un compartiment de train aux rideaux déroulés. J'ai pris le TGV. Il n'y a pas de compartiments et les rideaux pare-soleil permettent quand même de deviner le paysage lorsqu'ils sont baissés. Je me suis enfermé dans mon petit appartement parisien dans lequel il n'y a pas de volet et j'écris la fenêtre ouverte, la rumeur de la ville m'accompagnant. Parfois, proche ou lointaine, une sirène de police ou d'ambulance m'interrompt. J'attends qu'elle passe. C'est parfois un peu plus long quand les encombrements compliquent le trajet des véhicules de secours. Mais, ça finit toujours par passer. Je reprends la romance des calanques comme on fait un devoir de rédaction à la maison. Quand je lis le résultat, il ne semble évidemment pas nécessaire d'être resté neuf mois à Marseille pour écrire une telle bluette. Cela n'a pas échappé à l'éditeur qui ne prendra en charge qu'une partie des frais engagés. J'aurais dû être plus sourcilleux sur le contrat que je n'ai signé qu'hier, croyant bêtement ce que l'on m'avait promis. J'écris donc un assez mauvais livre et je serai pauvre tout l'hiver. |
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dimanche 15 septembre 2024 | vendredi 15 septembre 2006 | Et
si j'arrêtais d'écrire ? J'ai encore le temps de proposer mes
services au ministère de l'éducation nationale. Ils manquent peut-être
de professeurs de lettres et j'ai tous les diplômes nécessaires pour
enseigner. En outre, j'habite en Seine-Saint-Denis, un des départements
les moins prisés par les enseignants et moi, je veux bien enseigner en
Seine-Saint-Denis. Ou alors, je vais proposer aux services culturels
des villes d'organiser des ateliers d'écriture dans les centres
sociaux. Je n'ai jamais fait cela, mais je pourrai me targuer de ma
déjà longue bibliographie. En tout cas, je ne veux plus écrire de romances. Je vais finir celle-ci, sans la bâcler, répondre aux commandes parfois ridicules de l'éditeur et lui dire que j'arrête. Je ne peux m'empêcher de reproduire ici une de ces commandes. J'avais écrit que Yasmine - ils ont quand même conservé le prénom de l'héroïne - rosissait à la vue de son amoureux. Eh bien cela leur a semblé ne pas convenir, car une jeune femme ne pouvait pas rosir et seulement rougir. Ils voulaient dire par là que le lectorat ne comprendrait pas le terme rosir et qu'il convenait donc d'en choisir un plus marqué, mais qui serait compris. On voit bien que faire cela, ce n'est pas faire un travail d'écriture. J'imagine d'ailleurs que dans quelques années, des machines à l'intelligence plus développées que nos ordinateurs pourront écrire à la minute autant de romances que le marché pourra écouler. |
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jeudi 3 octobre 2024 | mardi 3 octobre 2006 |
J'ai
envoyé le manuscrit corrigé chez l'éditeur. Advienne que pourra. J'ai
demandé s'il pouvait sortir sous un autre pseudonyme, par exemple un
pseudonyme féminin. L'éditeur a refusé. C'est donc qu'il pense que mon
nom a un peu d'impact sur les ventes. Mais, en fait, cela n'a jamais
été vérifié. Je suis en panne. Je suis en panne d'écriture, je suis en panne d'amour, je suis en panne de vie. Le désir a ceci de particulier qu'il peut prendre des formes différentes et le désir d'écrire n'est évidemment pas celui que l'on ressent pour une femme ou pour un homme. Pourtant, c'est le même désir. C'est à dire que c'est la manifestation de ce même mouvement interne que l'on a du mal à définir autant qu'à contrôler parfois. Ainsi, toute maladie du désir affecte toutes les actions qui nécessitent du désir pour se mettre en mouvement. L'écriture, la création, font partie de ces actions. Je ne sais pas comment faire pour me sortir de cette apathie du désir non désirée. Je pourrais repartir vers le Sud. Mais, ce ne serait pas à Marseille. Je n'ai plus rien à faire là-bas avant longtemps et la seule évocation d'une calanque me donne presque la nausée. Je vais regarder la carte et trouver une station méditerranéenne. Et puis l'on verra bien. |
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mercredi 9 octobre 2024 | lundi 9 octobre 2006 | Je
ne sais pas si c'est ici que je vais sortir de ma déprime. Je ne crois
pas que je sortirai de ma déprime ici. Je ne crois pas que de ma
déprime ici je sortirai. Je pourrais ainsi faire varier la place des
mots que cela ne ferait pas pour autant que j'écrive. Tant que je ne me suis pas demandé si j'écrivais, j'ai pu sans grande difficulté aligner des milliers et des milliers de mots, des millions sans doute. Ces mots, écrits, pourtant, je ne les revendique pas comme étant de l'écriture. Ils relèvent d'autre chose. Je pense que c'est équivalent à la différence et à la distinction que l'on fait entre l'œuvre d'un artiste et le dessin qui est devant moi sur la boîte de sel. Ce dessin sur la boîte de sel d'un petit garçon qui court pour mettre du sel sur la queue d'un oiseau n'était pas dans mon enfance comme celui que je vois aujourd'hui. On dirait le petit prince de Saint Exupéry et l'oiseau semble moins apeuré qu'il ne l'était quand, regardant un jour la boîte de sel, je me suis dit que je pourrais raconter l'histoire de ce petit garçon, ce qui l'amenait ainsi à tourmenter ce petit oiseau et la réprimande qui ne manquerait pas d'arriver parce qu'il avait ainsi gaspillé le sel familial. Ce qui est certain, c'est que je ne me suis jamais identifié à ce petit garçon. Je crois d'ailleurs que les écrivains ne s'identifient pas à leurs personnages. Marcel n'est pas Proust et c'est d'ailleurs parce que ce n'est pas Proust que La Recherche a pu exister. Quant à l'autobiographie, elle n'est écriture que quand son motif est extra diégétique. On se souvient de Rousseau qui a voulu écrire Les Confessions pour « montrer à (m)ses semblables un homme dans toute la vérité de sa nature ». Mais Rousseau n'était pas un écrivain. Je ne suis pas certain que c'est à Palavas-les-Flots que je vais sortir de mon extinction d'écriture. |
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dimanche 13 octobre 2024 | vendredi 13 octobre 2006 | J'ai quitté
Palavas pour la Grande Motte, qui est à la côte méditerranéenne ce que
la résidence de la Rouvière est à Marseille. Pour beaucoup, il est de bon ton de détester la Grande Motte et ses immeubles modernistes et de leur préférer d'affreux petits pavillons rabougris avec des piscines en rince-pieds. Au contraire, je crois que j'ai quant à moi le goût prononcé de ces architectures futuristes qui, malgré tout, sont des signes que l'on croyait à un avenir collectif radieux. Je crois que je vais imaginer un texte dont le personnage principal ressemblerait à Antoine et qui, après avoir habité à Aubervilliers dans une cité, déménagerait sur le tard vers Marseille et passerait ses vacances à La Grande Motte, ne quittant ainsi jamais la vie en immeuble et s'en faisant le défenseur. Il aurait le rêve d'habiter à la Cité radieuse de Le Corbusier, sans en avoir les moyens financiers et mépriserait volontiers les pauvres détenteurs de pavillons obligés de passer leurs dimanches et leurs autres jours de congé à entretenir leurs quatre fenêtres et leur terrasse toujours mangée par les herbes. Encore faudrait-il que je trouve une intrigue. Or, mon problème en tant qu'écrivain est que je déteste les intrigues. Je revendique le droit d'écrire l'histoire de personnages auxquels il n'arrive rien. |
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samedi 19 octobre 2024 | jeudi 19 octobre 2006 | Je
me promenais en bord de mer, comme chaque
matin depuis que je suis ici. Alors que j'allais dépasser les boutiques
de la galerie Miramar, j'ai vu deux adolescents, une jeune femme et un
jeune homme, assis par terre, qui lisaient le même livre, collés l'un
contre l'autre. L'image était touchante de douceur et de jeunesse, ce
qui est presque un oxymore car jamais la jeunesse n'est tendre. Quand
je suis passé devant eux, j'ai pu voir que ce livre qu'il lisait
ensemble était l'un de mes livres et justement le dernier, le roman des
calanques qui vient de sortir en librairie. Bien sûr, je ne me suis pas signalé. D'ailleurs, ils ne m'auraient sans doute pas cru et ils n'auraient vu qu'un homme plus âgé qui les abordait sur un prétexte invraisemblable. Je peux imaginer une scène où les deux ados appellent la police et dans laquelle je dois prouver mon identité alors que mes papiers ne font pas mention de mon pseudonyme littéraire. Et puis, tout cela aurait été ridicule. Ces jeunes lisaient un livre ensemble, sans doute aussi pour le plaisir d'être collés l'un à l'autre et je ne devais rien extrapoler sur le caractère passionnant de l'intrigue que j'avais péniblement déployée. Je suis rentré dans la chambre de l'hôtel Mercure et j'ai pleuré, alors que je ne pleure jamais et que je ne peux pas même me souvenir avoir jamais pleuré depuis que j'ai 14 ans. La dernière fois, c'était justement pour l'anniversaire de mes 14 ans, quand ma grand-mère m'avait offert ce style-plume incroyable et dont je rêvais, me faisant promettre que je deviendrais écrivain grâce à cet outil magique. Je l'ai encore, mais je n'ai jamais rien écrit avec ce stylo et repenser à cela m'a fait pleurer de plus belle. Je suis descendu et j'ai acheté un nouveau carnet à la papeterie la plus proche. |
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vendredi 25 octobre 2024 | mercredi 25 octobre 2006 | Je
vais écrire que je vais écrire. En soi, l'entreprise n'est pas
originale. C'est même exactement le thème du dernier cours de Roland
Barthes, avant sa mort par accident, au Collège de France.. À cela
près que Barthes s'interrogeait sur l'écriture du roman, lui qui
avait écrit des essais et que s'interrogeant sur le roman, il
s'interrogeait sur l'écriture. Ce n'est pas mon cas. J'ai écrit nombre
de romans, au point que je me suis toujours refusé à les compter, mais
il y en a au moins une trentaine. Je ne veux justement plus écrire de
roman. Je ne veux plus, je crois, avoir à faire avec la fiction. Ainsi,
ce que je pourrais interroger, ce serait les rapports entre l'écriture
et le réel, non pas la réalité comme l'entendent assez maladroitement
les journalistes, mais ce bon vieux réel à jamais dérobé. Je ne crois pas que j'y parviendrai. Mais, je vais essayer. En fait, l'écriture du réel, comme je pourrais l'appeler, ce qui s'en approche le plus, c'est le poème. La philosophie côtoie trop la fiction, c'est à dire la mise en fiction de la réalité et d'ailleurs, souvent, elle utilise des paraboles. Le poème, lui, s'échappe. Il faudrait pouvoir écrire un poème qui serait langue pure. |
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jeudi 14 novembre 2024 | mardi 14 novembre 2006 |
J'inaugure
je crois une nouvelle pratique d'écriture. Je ne crois pas qu'elle soit
nouvelle en soi, mais elle est nouvelle pour moi. C'est sans doute
grâce à Antoine, cet ancien marin qui envoyait des messages en morse à
la Bonne-Mère pour communiquer à travers elle avec son épouse défunte.
Cette pratique d'écriture est simple. Je me mets dans un endroit où il
y a des gens et je les regarde. Je ne les regarde pas fixement de
manière dérangeante voire embarrassante. Je les regarde à la dérobée,
comme on regarde vaguement des gens qui passent ou des gens dans un
restaurant ou un café, qui sont aux autres tables. Je les regarde et je
tente de repérer tous les détails qui sont plus significatifs de leur
identité. Quand on regarde ainsi les gens, il y a toujours sur eux ou
avec eux, quel que soit le vêtement qu'ils portent, un détail, un
accessoire qui dit en quelque sorte : je suis moi. J'ai donc appelé ces détails les « je suis moi ». Parfois, la notation donne un paragraphe ou deux, parfois moins. Je collectionne ainsi les « je suis moi ». Je verrai plus tard ce que je vais en faire. Cela pose bien sûr la question pour moi. Quel est mon « je suis moi »fétiche ? Je ne sais pas. Il faudrait pour le savoir que je rencontre un autre observateur des « je suis moi ». |
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samedi 30 novembre 2024 | jeudi 30 novembre 2006 | J'étais
assis à la table d'un café. Il y avait assez loin de moi un jeune homme
qui devait être métis, mais je n'en suis pas certain. Il attendait
visiblement quelqu'un et je remarquais ces signes de l'attente qui ont
bien été décrits par Barthes dans Fragments d'un discours amoureux.
L'évocation de ce livre de Barthes, que je n'ai pas relu depuis
l'adolescence m'a persuadé alors que le jeune homme attendait une
amoureuse ou bien un amoureux. L'évocation de Barthes aurait même pu me
persuader qu'il attendait un amoureux. Dans les écrits de Barthes, il
n'évoque pas, en tout cas pas dans ce livre, l'homosexualité, pourtant
toujours présente. Dans L'Empire des signes,
il y a des croquis de plan de Tokyo griffonnés qu'il a dessinés ou bien
qu'on lui a donnés. Les connaisseurs ont ensuite révélé qu'il
s'agissait de lui indiquer où étaient les bars gay. Mais, on ne l'a su
que plus tard, après sa mort. Dans les éditions de ce livre important,
il était indiqué que c'était un carnet d'adresses. Le temps filait. Le
jeune homme était impatient. Je n'ai pas compris pourquoi, ou plutôt je
ne l'ai compris qu'après j'avais l'impression que plus il attendait,
plus il rajeunissait, au point qu'il redevenait presqu'un un enfant.
Pourtant il ne pleurait pas. Soudain, une femme assez âgée est entrée
dans le café. Il a crié un peu trop fort, assez pour que les
consommateurs aux autres tables lèvent la tête ou se retournent. Celle
qu'il attendait et qu'il appelait maintenant était sa mère. Je me suis
dit alors que mon parcours d'observation avait été nourri par Roland
Barthes, bien malgré moi. J'aurais voulu les photographier dans leurs retrouvailles mais cela aurait été parfaitement inconvenant. J'ai donc écrit ce texte. J'aurais pu l'écrire autrement, à la manière d'un haïku : dans un café il attend, les feuilles mortes au vent, elle entre et le délivre. Il a crié maman. |
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lundi 2 décembre 2024 | samedi 2 décembre 2006 |
Ce pourrait être une prochaine façon d'écrire, qui consisterait
à plaquer de la fiction sur les gens, ou plutôt des fictions sur des
gens, parfois sur des personnes différentes, parfois plusieurs fictions
différentes sur la même personne. Mais je vois à cela plusieurs
inconvénients dont le moindre n'est pas celui de devoir aller dans des lieux
où l'on peut rencontrer des gens, les observer de loin, écrire sur un
carnet et ce tout en passant inaperçu. Ces lieux sont nombreux à Paris
et dans quelques grandes villes, que l'on nomme ici des cafés ou là des
bars. Mais je vais parfois me perdre dans de petits lieux paumés où il
n'y a pas de bar ou de café ou pas de bar ou de café où l'on puisse
s'asseoir pour noter incognito. D'abord, assez vite, ce sont les mêmes
personnes qui l'on revoit et les fictions qui pourraient leur aller ne
sont pas si nombreuses. En fait, je ne suis peut-être pas un bon écrivain. La personne la plus simple peut devenir le support d'un nombre important de fictions pour peu que l'on veuille bien se donner la peine. D'ailleurs, à mieux y réfléchir, il n'y a pas grande différence entre une femme déjà vieillie qui vient prendre son café et l'adolescent au genre indéterminé et aux cheveux violets assis dans un café branché d'un quartier parisien non moins branché. Et puis, il y a d'autres lieux. Par exemple, les salles d'attente des médecins. On est assis et parfois longtemps, si l'on a bien choisi son carnet et son crayon, on peut aisément ou pas trop malaisément noter en posant son carnet sur ses genoux. Je vais encore y réfléchir. |
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dimanche 8 décembre 2024 | vendredi 8 décembre 2006 |
Et puis, pourquoi ne pas écrire un livre tout compte fait. Non
pas un de ces livres de commande pour alimenter telle ou telle
collection avec lesquelles on fait croire aux jeunes qu'ils lisent.
Mais, un vrai livre qui me consacrerait comme écrivain. Je prendrais un pseudo. J'aurais ma photo avec un stylo, cher, dans le métro parisien et dans les gares de TGV. Mon pseudo aurait peut-être une particule. Les gens aiment lire des livres écrits par des nobles. Dans ce vieux pays révolutionnaire qui a décapité un roi et une reine, le prestige de la noblesse n'a jamais faibli. Je ne me donnerai pas ce ridicule. Ni de prendre un pseudo à particule, ni en fait d'écrire un livre. En fait, ce que je veux, c'est écrire, ce n'est pas endosser l'imaginaire de l'être écrivain. Je hais les pantalons de velours, n'ai aucune envie d'avoir un setter irlandais ni un manoir en Bretagne ou en Irlande. Je ne veux pas que mes romans soient adaptés pour le cinéma ou pour la télévision et d'ailleurs, je ne veux pas écrire de roman. En fait, je veux écrire confidentiellement des choses confidentielles. Mais il va falloir alors que je trouve un boulot. |
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samedi 14 décembre 2024 | jeudi 14 décembre 2006 |
Je vais arrêter ici ce journal auquel je ne trouve plus vraiment
de sens. Il m'accompagnait utilement alors que j'écrivais mes romances,
sans doute pour me rappeler que j'écrivais, malgré tout, autre chose et
autrement que ce qu'une machine, bientôt, sans aucun doute, pourra
débiter à la demande. Mais, désormais, je n'écris plus de romance et je
n'ai pas vocation à demeurer, seulement, un diariste. Si je devais
continuer à prendre des notes, en suivant les leçons du bon Roland
Barthes, afin d'écrire je ne sais quoi qui viendrait plus tard, cela ne
pourrait avoir la forme que cette écriture a prise depuis le mois de
janvier de cette année. Alors, je devance de quelques jours, deux semaines environ, la fin de l'année et ses festivités énergivores. Je pose mon crayon et je regarde ailleurs. J'ai trouvé pour la rentrée de janvier un poste de professeur de lettres modernes, remplaçant, jusqu'aux vacances de pâques, voire davantage si les choses vont bien. C'est dans un collège, ce qui est toujours plus difficile que si c'était dans un lycée. Et c'est un collège difficile de Garges-lès-Gonesse. Il ne faut surtout pas que mes futures élèves collégiennes, qui étaient la cible privilégiée de mes romances, apprennent que je suis celui qui a écrit quelques livres qu'elles considèrent comme des romans et qui sont pour moi des produits. Je ne pourrais alors pas tenir la position. Mais cela n'arrivera pas. Je ne vois pas qui ou quoi pourrait me dénoncer. Il faut que je fasse quelques courses pour m'habiller en professeur. Cela ne sera ni difficile ni cher. Je ne peux pas dire que j'ai hâte de prendre mon poste. Mais je n'ai non plus aucun appréhension. |
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