Diégèse Les narratrices et les narrateurs
Journal de Jeanne en 2009 - 38 jours -
Jeanne vit et travaille à Nice dans les Alpes-Maritimes.




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samedi 6 janvier 2024 mardi 6 janvier 2009 Des quarante-et-un quartiers de Nice, celui que je préfère est celui de Saint-Pierre-de-Féric. J'aimerais beaucoup y habiter et je ne désespère pas d'y trouver un appartement. C'est pour moi le quartier des collines niçoises par excellence. Je pense que l'on y garde précieusement la lumière des peintres. J'aimerais savoir peindre. Je sais que je commencerais par peindre le viaduc de l'autoroute A8 qui traverse le quartier de part en part. Beaucoup regrettent ce qu'ils considèrent comme une balafre. J'y vois autre chose, de l'ordre de la puissance humaine qui faute de pouvoir déplacer les montagnes, les traverse de part en part. Je retournerai m'y promener dimanche prochain.

J'ai repris hier et déjà je suis très angoissée. Je crois que l'on n'imagine pas ce ce que c'est que de travailler quotidiennement avec des malades du cancer. J'ai parfois l'impression d'être à la porte des enfers, là où l'on trie les âmes. Mais je détiens un secret insoutenable : le tri est aléatoire. Quand j'entre dans la salle d'attente, je crains toujours de ne pas voir le premier patient, puis d'apprendre que je ne le reverrai plus. Quand le téléphone sonne et que l'on m'apprend le décès d'un des patients en traitement, l'espace d'un instant, mon regard est voilé par la tristesse. Et puis j'oublie.

Je vois le psy demain.




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lundi 8 janvier 2024 jeudi 8 janvier 2009 J'ai vu le psy hier. Il m'a proposé un arrêt de travail, trouvant que j'étais très angoissée alors même que je rentre de vacances. J'ai essayé de lui expliquer que j'étais précisément angoissée parce que je rentre de vacances et que je crains que certains patients soient morts. Il a essayé de me mettre sur la piste de la culpabilité, d'une culpabilité - je reprends ses termes - qui « viendrait d'ailleurs pour se poser là ». J'ai failli sortir. Bien sur qu'on se sent coupable quand un patient ne guérit pas, même quand, comme moi, on n'est pas médecin.

J'espérais qu'il me donne des médicaments. Il m'a suggéré d'en parler à mon généraliste. Il m'a dit que je vis dans un monde médicalisé et qu'il me propose un travail qui m'aide aussi à m'échapper de la médicalisation.

Je lui ai raconté ma promenade dans les collines de Saint-Pierre-de-Féric. Je pensais que je noyais le poisson et bien c'est, de ce que j'ai dit, ce qui a semblé l'intéresser le plus. Alors, je lui ai parlé de la beauté du viaduc de l'autoroute A8. Il a souri et il m'a dit que nous y reviendrions.

Je crois qu'il me reste des anxiolytiques au fond du tiroir de la salle de bain. J'irai voir mon généraliste plus tard. Je ne sais même pas s'il est revenu de vacances.




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samedi 20 janvier 2024 mardi 20 janvier 2009 Je reprends demain. Pendant ces journées de repos forcé, je n'ai rien écrit. Quand je suis allée voir mon généraliste - c'était le 9, je crois - il m'a arrêtée pour une dizaine de jours. Il faut dire que je me suis effondrée dans son cabinet en avouant entre les larmes que je n'en pouvais plus de tous ces malades, de tous ces morts, de ce monstre du cancer. Je lui ai avoué aussi que je craignais moi aussi de choper la maladie, un peu comme si elle était contagieuse. Il m'a donc envoyée faire une mammographie et je soupçonne que c'était pour me rassurer. Bien sûr, ce n'est pas ce qu'il ma dit. On n'envoie pas les gens faire des examens pour les rassurer. Je n'ai pas voulu passer par l'hôpital pour avoir un rendez-vous plus rapidement. J'aurai les résultats bientôt.

Je vais donc retrouver l'hôpital demain, sa terrasse qui domine la côte. Je pense à tous les touristes qui passent chaque année pour prendre un peu le soleil sur cette côte d'azur. Ils n'imaginent pas que sur l'une des collines de Nice, un établissement de soins, parmi les meilleurs de France, les regarde. Certains y viendront peut-être, plus tard. En arrivant, ils reverront la plage où ils ont bronzé un été. On appellera leur nom pour commencer le traitement. Nice, pour eux, ne sera plus jamais une ville de villégiature, mais la ville où ils ont été irradiés. Pour certains, ce sera la ville où ils ont guéri. Les autres n'auront rien à en dire.




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dimanche 11 février 2024 mercredi 11 février 2009 Plus de dix jours que je n'ai pas pris ce carnet. Je me relis et cette crainte autour de résultats d'une mammographie me parait déjà lointaine. Les résultats étaient excellents et le médecin avait raison : cela m'a rassurée. Mais, une fois que l'on a fermé la porte par laquelle l'inquiétude sinon l'angoisse était entrée, elle finit bien par trouver une autre porte tant que la cause véritable n'a pas été identifiée et traitée. Mais, moi, je connais la cause véritable : ce n'est même pas de travailler tous les jours pour des personnes atteintes de maladies graves et dans la plupart des cas du cancer, ce n'est même pas de savoir que parmi ces personnes, toutes ne guériront pas. Je pense que si j'obtenais une mutation vers un autre hôpital dans un autre service, ce serait la même chose. Je pense même que si je quittais l'univers hospitalier, ce serait encore la même chose. Peut-être que je ne supporte en fait pas que l'humanité soit mortelle, voire même que le vivant soit mortel, ce qui m'interdirait même de travailler dans une jardinerie. Si c'est cela mon trouble, peut-être devrais-je m'intéresser à ce qui n'est pas mortel. Cependant, cette interrogation provoque comme un vertige. Tout est mortel. On sait même que le soleil l'est et a fortiori la terre.

Alors, je ne sais pas.




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samedi 17 février 2024 mardi 17 février 2009 Il y a bien un remède, je crois, à mon angoisse de mort.
Ce n'est pas l'amour. Ce ne peut pas être l'amour. Il n'y a rien de plus mortellement mortel que l'amour. Mais, cela pourrait être l'art.
Je vais essayer d'aller voir l'exposition en cours au musée d'art contemporain de Nice, le MAMAC. Elle se nomme « Le Chemin de la peinture ». Le titre est suivi de noms d'artistes que je ne connais pas et dont je suppose qu'ils sont des peintres : Gérard Gasiorowski, Denis Castellas, Valérie Favre, Stéphane Pencréac'h, Alun Williams. J'avoue n'avoir jamais entendu parler d'aucun d'entre eux et cela me rend très curieuse. Je suis curieuse aussi de savoir ce qui peut les rassembler dans ce musée de Nice où je n'ai jamais mis les pieds. Sans doute autre chose que la peinture... En tout cas, je l'imagine. La personne qui a choisi de les exposer ensemble doit bien avoir une intention plus subtile et c'est celle-ci qui m'intéresse. J'ai hâte.
L'exposition est ouverte jusqu'en mai. J'ai donc le temps d'y aller. Mais, je me connais, je risque d'oublier.
D'ici là, je vais essayer de me documenter sur ces artistes.

La peinture... L'art... Le chemin...




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lundi 19 février 2024 jeudi 19 février 2009 Je suis revenue de Lacassagne à pied. Une heure de marche. L'air était vif, presque piquant, mais cela m'a fait du bien, beaucoup de bien. Chaque pas que je faisais était une petite thérapie. Je me suis concentrée sur la marche, d'abord et puis aussi sur le chemin. Ce n'est pas vraiment une promenade agréable. Ce n'est d'ailleurs pas une promenade. Mais, on peut quand même attraper ici et là le parfum des mimosas et surtout leur couleur de ce jaune inoubliable.

Je me souviens qu'il m'avait offert du mimosa. J'étais encore au centre de formation, à Paris. Je finissais à 16 heures ce jour-là et il pleuvait. Le ciel était gris plombé comme l'aile d'un pigeon malade. Dès le haut des marches, je l'ai vu avec son sourire et ses drôles de pantalons qui ne lui allaient délicieusement pas. Il avait les mains derrière le dos. Je ne me suis pas méfiée. J'ai descendu les escaliers un peu trop rapidement et je suis arrivée dans ses bras. Et là, j'ai été enveloppée par les deux bottes de mimosa qu'il tenait derrière son dos.

Je ne peux pas me souvenir de cette scène sans émotion. Certes, c'était un peu théâtral. Mais cela semblait sincère. D'ailleurs, ce n'était pas encore l'époque où l'on prenait des photographies à tout bout de champ et les téléphones mobiles, a fortiori avec appareils photographiques, n'existaient encore pas.

Je crois que j'ai encore quelque part un brin de ce mimosa. Je dois le retrouver.




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jeudi 7 mars 2024 samedi 7 mars 2009 Je m'aperçois que la fréquentation de l'art, celui d'aujourd'hui comme celui du passé, m'aide beaucoup à m'extraire des situations humaines souvent tragiques que je vis à Lacassagne. Je m'intéresse depuis une dizaine de jours à ce que l'on nomme l'École de Nice. Certains artistes de ce groupe qui a été actif de la fin du début des années 1960 au milieu des années 1970 sont encore en vie et certains bien actifs.

Bien sûr ce qui frappe avec le recul, c'est l'absence des femmes. Faudrait-il en conclure qu'il n'y avait pas de femmes artistes dans ces années-là à Nice ou qu'on ne leur donnait pas de place ? La réponse est évidemment dans la question. Ce pourrait être amusant, d'ailleurs, d'aller chercher qui étaient donc les femmes artistes à Nice quand ces messieurs prenaient toute la place institutionnelle et médiatique. La seule qui réussissait à s'imposer et j'imagine qu'elle les fascinait tout autant qu'ils la craignaient était Niki de Saint Phalle. Mais, elle n'était pas à Nice en permanence. Elle y est quand même restée toute l'année 1953. Il faudra encore attendre, je pense, quelques années pour que l'importance des femmes-artistes dans cette période machiste de l'art soit enfin révélée.

En renversant la perspective, on pourrait dire que les hommes font de l'art pour prouver qu'ils ont malgré tout une sensibilité au monde. Les femmes n'ont pas de preuve à donner sur cela et font donc de l'art parce que c'est pour elle important et nécessaire.




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mercredi 27 mars 2024 vendredi 27 mars 2009 Ce qui est le plus difficile quand on commence à s'intéresser à l'art, c'est de renoncer à ce que ce soit beau. D'ailleurs, quand on veut faire du beau, on ne parvient jamais qu'à faire du joli, cela devient décoratif, bon à jeter. Ce n'est d'ailleurs pas vrai que dans la peinture, c'est vrai pour toutes les formes de création. Et ce n'est pas récent. Cela a été théorisé au XIXe siècle, par exemple, par les naturalistes. Germinal, n'a pas vocation à susciter le sentiment du beau. L'exemple le plus frappant, c'est Madame Bovary, bien que Flaubert ne soit pas toujours naturaliste. Dans la peinture, c'est constant. Qui peut assurer que les dessinateurs d'aurochs et de bisons voulaient faire du beau ? Évidemment personne. Mais, plus près de nous, on trouve dans la peinture classique de nombreux exemples ou faire beau n'est pas du tout l'intention du peintre. C'est peut-être d'ailleurs ce qui caractérise l'académisme, qui résout la question du faire beau par celle du faire bien.

Voilà ce que j'ai pu retenir, de manière très synthétique, de l'émission de radio que j'ai écoutée. Je ne suis pas certaine d'avoir bien retranscrit, mais c'est ce que j'ai compris. C'est sans doute pour des raisons équivalentes que certains chirurgiens considèrent que la chirurgie esthétique n'est pas vraiment de la chirurgie.




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samedi 6 avril 2024 lundi 6 avril 2009
C'est plus compliqué qu'il n'y paraît la question du beau. Je ne parle pas de la beauté, mais du beau. On ne parle pas de la beauté aux enfants, mais seulement du beau. « C'est beau » ou « Pas beau » leur dit-on a tout bout de champ et pour n'importe quoi. Le problème est que le « pas beau » est souvent utilisé à la place du « pas bien »... Et c'est comme cela qu'insidieusement on fait entrer dans la tête des enfants, au moins dans la tête de celles et ceux élevés dans la langue française, une association tordue entre le bien et le beau et donc entre le mal et le laid. C'est bien mal les éduquer et surtout bien mal les préparer à leur vie future. Ils vont rencontrer du mal qui se présentera en beau et du bien qui ne sera pas nécessairement folichon. C'est sans doute aussi cela que veulent dire les artistes quand ils rejettent la beauté en dehors de la question de l'art. De même que l'art n'a pas besoin d'être beau, il n'est pas voué à présenter le bien.

Je me sens assez démunie pour aborder ces sujets. On n'avait que peu de cours de philosophie au lycée, surtout dans les sections scientifiques et pas du tout de cours d'histoire de l'art. C'est ainsi que désormais, plutôt que de concepts je me souviens du nom de quelques philosophes, d'ailleurs tous des hommes, sans bien savoir ce qui les distingue entre eux. Je suis passée à côté de la philosophie scolaire, mais peut-être puis-je essayer d'enclencher désormais à mon usage exclusif une philosophie « post scolaire » ?




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lundi 8 avril 2024 mercredi 8 avril 2009 Il m'est venu l'idée bizarre que je m'intéressais au beau parce que c'était ce qui était le plus proche de la mort. C'est vraiment une idée bizarre. En effet, rien de beau dans la mort, a priori, et rien non plus dans les conséquences de la mort. Mais il s'agit là de ce qui entoure la mort, de ce qui la précède ou de ce qui lui succède. Mais, la mort elle-même, comme concept, demeure éternellement dissimulée. C'est un peu comme dans une pièce de théâtre du dix-septième siècle dans laquelle le personnage se meurt mais ne meurt jamais. Et quand il est mort, il ne se meurt plus.

Il y a dans mon service une soignante qui a travaillé dans un des premiers centres de soins palliatifs près de Marseille, à Gardanne, créé en plein milieu des années SIDA. Elle ne regrette pas cet engagement mais elle préfère quand même travailler à Lacassagne car, dit-elle, ici, certains patients s'en sortent, en sortent. Ce n'est jamais le cas dans les centres de soins palliatifs. Moi, je me demande si je ne vais pas demander ma mutation pour un centre de soins palliatifs. La mort m'intéresse plus que la souffrance et peut-être même que le soin.




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samedi 20 avril 2024 lundi 20 avril 2009 Bon, c'est fait. J'ai demandé ma mutation à Marseille, à la clinique Sainte-Élisabeth, pas très loin du centre-ville. C'est un centre de soins palliatif bien coté. J'ai reçu une proposition d'entretien le jeudi 30 avril. Cela ne m'arrange pas vraiment parce que quand il y a un jour férié dans la semaine, comme le premier mai cette année qui tombe un vendredi, on a tendance à reporter les rendez-vous sur les autres jours de la semaine et c'est encore plus tendu que d'habitude.

Est-ce que cela me plairait de vivre et de travailler à Marseille ? Ce qui est sûr, c'est que la vie est beaucoup moins chère et que la vie artistique et culturelle est plus diversifiée. J'espère que l'entretien sera positif. Si ça ne marche pas, je pourrais toujours postuler au centre Paoli-Calmettes. C'est d'un aussi bon niveau que Lacassagne et aussi réputé.

Vivement le 30 avril ! En plus j'aurai été payée...




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jeudi 2 mai 2024 samedi 2 mai 2009 Je ne sais pas si je vais être prise. L'entretien ne s'est pas mal passé, mais je ne me suis pas trouvé très bonne. J'ai trop insisté, je crois, sur mes compétences techniques et pas assez sur mes qualités humaines. Mais, je n'aime pas beaucoup parler de moi, en fait, surtout à des fins publicitaires. De toute façon, je ne sais pas s'ils ont vraiment beaucoup de candidats pour ce poste. Ce n'est pas certain. Le travail est particulièrement difficile et vocationnel.

Aimerais-je vivre à Marseille si je suis prise ? Quand je suis repartie, il y avait ce que je crois être des cours de chant dans un immeuble en face de la clinique. Sans doute les patients en fin de vie doivent entendre le chant et la musique. Il faudrait imaginer des échanges, une présence musicale au sein de l'établissement. Mais, cela a sans doute déjà été imaginé et pensé, et fait.

Je me rends compte que je n'ai posé aucune question. Je devrais apprendre à poser des questions.

Avant de repartir à Nice par le train, je suis allée voir le Vieux-Port et j'ai pris un café à la brasserie La Samaritaine. C'était bien.




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lundi 20 mai 2024 mercredi 20 mai 2009 J'ai reçu une réponse positive hier. Je l'ai trouvée dans la boîte aux lettres en rentrant de Lacassagne. La journée avait été particulièrement pénible. Je ne peux même pas écrire ici pourquoi. Le cancer est injuste. Le cancer est odieux. Le cancer est une abomination qui pourrait faire douter de tout. Et, parfois, il est encore plus injuste, encore plus odieux. J'ai retenu mes larmes toute la journée. Il ne s'agissait surtout pas de pleurer devant cette jeune patiente, cette trop jeune patiente. Sur le chemin du retour, mes larmes coulaient sans que je puisse les retenir et j'ai enfin éclaté en sanglots. Puis, j'ai trouvé la réponse attendue de Marseille. Je n'en menais pas large en ouvrant l'enveloppe.

Je crois que je fais le bon choix. Je sais que ça va être dur. Je sais que la ville est dure. Mais, ce qui sera différent, c'est que je ne serai plus obligée de mentir en faisant croire aux patients qu'ils vont guérir. Là-bas, le contrat entre nous sera clair. Ils entrent pour mourir et je les accompagnerai dans ce dernier trajet. En fait, cela n'a rien à voir avec un centre spécialisé dans le cancer comme Lacassagne.




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jeudi 30 mai 2024 samedi 30 mai 2009 Je vais retourner à Marseille pour commencer à chercher un appartement. C'est un peu tôt, car, je ne prendrai en fait mon nouveau poste qu'en septembre, mais je préfère aller me rendre compte sur place du marché de la location. En tout cas, je sais déjà que ce sera moins cher que Nice. Mon rêve serait d'avoir un rez-de-chaussée avec un petit jardin. Avec un peu de patience et de bonne volonté, il paraît que l'on en trouve pour pas trop cher. Bien sûr, il faut être sûr des voisins, sinon ça devient vite l'enfer et on passe son temps à ramasser des papiers gras, voire des canettes quand ce ne sont pas des bouteilles de bière les soirs de défaite de l'OM. Mais, avec un peu de persuasion, cela aussi ça se négocie.

J'ai deux rendez-vous avec des propriétaires qui louent à des étudiants et donc, qui renouvellent chaque année ou presque leurs locataires. Je dois voir un appartement rue Monte-Cristo, sans jardin mais avec une terrasse et l'autre rue Jaubert. Les deux sont à un jet de pierre de la clinique Sainte-Élisabeth. Si ça pouvait marcher du premier coup, ce serait super. J'aurais un souci en moins et je pourrais tout à la fois préparer mon déménagement et imaginer la décoration.

Mais ne rêvons pas.

Ou plutôt si. Rêvons.




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mardi 11 juin 2024 jeudi 11 juin 2009 Ça marche pour l'appartement de la rue Monte-Cristo. Je peux l'avoir dès le premier septembre. Je crois que la propriétaire, une dame un peu âgée, n'était pas mécontente de trouver une locataire qui ne soit pas étudiante, en colocation, au RSA, intermittente... Pourtant, quand j'ai visité, il n'y avait vraiment rien à reprocher aux deux étudiants qui vivent là en colocation. Ils finissent leur master à la faculté de droit et tout était aussi rigoureusement rangé que dans le code pénal.

L'immeuble est au numéro 68 de la rue. Il est un peu décrépi et tout tagué, sans doute parce qu'il fait le coin d'une rue. Mes fenêtres donnent sur l'arrière, sur un petit jardin. Ce n'est pas exactement ce que j'espérais, mais j'aime bien l'appartement. Et surtout, l'immeuble est en face de l'arrière de la clinique. C'est par là que rentrent les ambulances. C'est idéal pour moi. Je pense d'ailleurs que le fait que je vais travailler là a joué auprès de la propriétaire.

Je n'ai plus qu'à préparer mon déménagement. Je louerai une fourgonnette. Je n'ai pas grand chose. Il faudra que je trouve quelques bras pour m'aider. Mes collègues de Lacassagne viendront bien m'aider.




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lundi 17 juin 2024 mercredi 17 juin 2009 Maintenant que je sais que je vais quitter Nice et que je vais quitter le Centre Lacassagne, que je vais quitter mes patients et mes collègues, tout cela, qui est mon quotidien, qui est mon contexte, tout cela, déjà, commence à me manquer. Ce manque n'est pas une nostalgie car la nostalgie implique un fantasme de retour, que je n'ai pas. Dès lors, il est difficile de caractériser ce manque, car rien ne me manquera, ni personne, si ce n'est moi. Et c'est bien moi qui vais me manquer à Nice, à Lacassagne, c'est mon sourire le matin, ma force de conviction et mes soudaines tristesses. Ce sont mes apprentissages de la peinture et mes réflexions naissantes sur l'art. Tout le nouveau que je vais rencontrer et auquel j'aspire, tout cela ne remplacera rien, qui me manquera donc à jamais.

Je dois fixer la date de mon pot de départ. J'ai encore le temps, mais il est préférable de préparer cela à l'avance. Le 28 août serait parfait. Ce sera donc le 28 août. Il faut que je trouve un lieu. J'ai toujours trouvé indécent de faire des moments festifs là où les gens viennent, souvent dans la douleur, se soigner.




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mercredi 19 juin 2024 vendredi 19 juin 2009 Il paraît que j'ai des congés à prendre. Je n'en doute pas. Normalement, je ne les prends jamais en août et plutôt début juillet, donc ça ne va rien changer vraiment.

Hier, nous avons reçu un nouveau patient pour le Cyberknife. Il est jeune, à peu près mon âge. Il vient pour une tumeur au poumon, assez circonscrite. Le pronostic n'est pas mauvais. La tumeur est très accessible pour l'appareil.
Normalement, je suis blindée. C'est à dire que je regarde toutes les patientes et tous les patients également, mais là, je ne sais pas. Cet homme m'a touchée particulièrement.

Il a douze séances à faire tous les deux jours. Avec les weekends, cela nous mène jusqu'au 17 juillet.

J'ai posé une semaine à partir du 20 juillet. J'irai à Marseille pour m'habituer.

Le nouveau patient s'appelle Loïc. Je trouve qu'il a l'air triste. Il n'est pas de Bretagne. Il vient justement de Marseille.




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samedi 29 juin 2024 lundi 29 juin 2009 Nous l'avons appris aujourd'hui et il n'en sait rien encore. La tumeur au poumon de Loïc a fait des métastases au cerveau. Cela arrive souvent avec les tumeurs au poumon et, généralement, le pronostic s'en trouve singulièrement dégradé. Il va falloir le lui annoncer. Ce sont les médecins qui s'en chargent. Je me demande combien de mois il peut survivre. Neuf, à peine, presque le temps d'une grossesse mais ici, il ne s'agit pas de donner la vie mais d'accompagner la mort.

Le Cyberknife peut parfois aussi traiter les tumeurs cervicales, mais les siennes sont nombreuses et mal placées. Il est d'ailleurs curieux qu'on ne les ait pas vues avant. Malheureusement, souvent, trop souvent, le cancer joue ainsi avec les médecins et les patients. Cela met les médecins dans l'embarras et les patients au désespoir. On leur dit un jour que le pronostic est bon, que le traitement fonctionne bien. Ils reviennent et on leur dit alors que, malheureusement, rien ne va plus.

Je me suis souvent demandé comment je réagirais si je devais affronter le diagnostic de ma mort prochaine. Mais, cela fait maintenant des années que je ne me le demande plus. On ne peut pas simuler cela. Personne ne sait comment il réagirait et moi pas plus qu'un autre.

Loïc vient demain. J'appréhende.




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lundi premier juillet 2024 mercredi premier juillet 2009 Alors, une fois de plus, j'ai croisé le regard d'un être humain à qui l'on vient d'annoncer que sa vie s'arrêtera plus tôt qu'il ne l'avait jamais imaginé. Je redoute toujours ce moment, même si je ne me dérobe pas. J'imagine ce que serait pour cette femme, pour cet homme, jeune ou non, de rencontrer un regard détourné comme de crainte d'attraper la mort. Mais, la mort ne se transmet pas de cette façon, pas par le regard. En revanche, la vie trouve sa force dans le regard d'autrui.

Je pense que Loïc se doutait de quelque chose quand nous lui avons dit qu'il verrait le médecin ce matin alors que ce n'était pas prévu. Puis, Loïc est sorti du bureau du médecin et j'ai rencontré son regard. Je voulais lui donner de la force, moi qui connaissais une bonne partie du chemin qu'il aurait à faire. Je l'ai conduit à la machine et j'ai posé sur son visage le masque de résine qui guide le rayon. Il en a plaisanté en me demandant s'il s'agissait d'un masque mortuaire. Je lui ai dit que nous n'avions pas en stock ce type d'accessoire. Et nous avons ri. Mais, quand j'ai quitté la pièce pour que le robot fasse son travail, j'ai bien vu sur les joues de Loïc, couler deux larmes qui descendaient bravement vers le cou.

Je suis sortie prendre une bouffée d'air en regardant la mer depuis la terrasse du centre. Quelques collègues fumaient, au mépris du cancer qui était soigné à quelques mètres de là, ce cancer qui avait bien des chances de se transmettre, sinon par le regard, au moins par la fumée de ces satanées cigarettes.




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dimanche 7 juillet 2024 mardi 7 juillet 2009 Mon médecin m'a arrêtée pour quinze jours. Je reprends le 20. Cela ne m'arrange pas, car, j'ai des congés à prendre mais je ne pouvais pas, je ne pouvais plus. C'est toujours pareil. J'ai d'abord une insomnie, que je qualifie de « insomnie obsessionnelle ». Je la qualifie ainsi parce que c'est toujours une image qui m'empêche de dormir, une image qui revient, comme une extraction de mon quotidien, une incrustation mentale. Cette fois, c'était bien sûr le regard de Loïc à la sortie du bureau du médecin. Bien sûr, je me suis rappelé le vers de Hugo : « L'œil était dans la tombe et regardait Caïn ». Mais, cela ne m'a pas fait sourire. Si je ne dors pas, c'est bien parce que la mort me hante et que mon lit est alors un caveau peuplé de tous les patients que j'ai croisés et qui savaient qu'ils allaient mourir.

Bref, mon médecin m'a prescrit des somnifères dont nous savons qu'ils me vont bien. Il m'a demandé si je pouvais quitter Nice un peu, mais je n'avais pas le courage et d'ailleurs pas les moyens de le faire. Mes escapades à Marseille pour trouver un appartement ont entamé mes petites économies et je dois garder ce qui reste pour mon installation.

Le traitement de Loïc ne sera pas terminé quand je rentrerai, si je parviens à rentrer. J'essaierai alors de conjurer le sort.




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mercredi 17 juillet 2024 vendredi 17 juillet 2009 Je reprends lundi et j'appréhende un peu. Mais quelque chose s'est décoincé qui me conduit à penser que je vais pouvoir reprendre le travail, que je tiendrai bon, que je vais être là pour mes patientes et mes patients. Je sais que certains vont guérir, que beaucoup connaîtront une rémission et que d'autres mourront sans que le traitement puisse enrayer la maladie. Je le sais et je l'ai toujours su.

Je ne me suis jamais sentie responsable de la mort de mes patients, mais je me suis sentie responsable de ne pas les guérir. Mais, il me faut accepter de n'être responsable que de les soigner et non de les guérir. Et d'ailleurs, je ne suis même pas responsable de les soigner. La machine les soigne et la prescription de soins est élaborée par d'autres que moi. Moi, je les fais asseoir. Au besoin, je place sur leur visage un masque en résine qui va guider les rayons. Je sors de la pièce. La machine procède aux mouvements pour lesquels elle a été programmée, je rentre et je libère le patient des entraves qui le maintiennent immobile. Et je souris. Et c'est dans ce sourire qui réside tout ce que je peux donner en plus. Parfois, face à une personne visiblement très angoissée, je prends une main, je la serre un peu, pas trop pour ne pas inquiéter.

Mais le sourire, toujours. Si je ne pouvais plus sourire, je ne pourrais plus travailler.




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dimanche 4 août 2024 mardi 4 août 2009 J'ai toujours considéré que le mois d'août est un mois étrange. Consacré mois des vacances depuis la société industrielle, puis l'instruction obligatoire et, avec le Front populaire, les congés payés, il devrait être le mois de la fête, de la légèreté, de l'insouciance. Il ne l'est que rarement tant les vacances sont d'abord un déplacement donc un dérangement. Je ne sais pas si l'on a calculé la dose de stress que représente un départ en vacances. Il en va de même pour les retours. Il y a même une expression désormais consacrée qui désigne l'immense tribulation de ces mouvements : le chassé-croisé de l'été. Que l'on ne s'y trompe pas, si les juilletistes font semblant d'envier les aoutiens dont ils croisent le regard dans les embouteillages, ils éprouvent aussi, selon leur caractère, de la commisération et un peu de jubilation. Ils savent eux la somme des ennuis probables auxquels les néo-vacanciers s'exposent. Bien sûr, ce n'est pas le moment de tomber malade. Galère assurée.

Et puis, il y a ceux qui sont malades, qui ont des traitements au long cours. Ce sont eux que je croise ici tous les jours. Parfois, du sac qu'ils posent à côté d'eux avant les séances d'irradiation, dépassent quelques accessoires de plage. Mais, c'est uniquement les jours sans soleil, car, il n'est pas conseillé de s'exposer après avoir été irradié.

Et puis, il y a les enfants malades et leurs parents angoissés.




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mardi 6 août 2024 jeudi 6 août 2009 Il faut que je tienne. Il faut absolument que je tienne. Après tout, il ne me reste que quelques jours ici. Puis, ce sera Marseille, ce seront d'autres émotions et d'autres défis.

Tout le monde est très gentil avec moi.

Bien sûr, le plus dur, c'est que j'ai l'impression de déserter, de les  abandonner, toutes et tous, ici. Bien sûr, je sais qu'aller travailler dans un centre de soins palliatifs à Marseille, ce n'est pas vraiment choisir la facilité. Mais, en fait si. L'absence d'espoir de guérison pourrait bien être apaisante plutôt que  ces espoirs de guérison trop souvent déçus. Beaucoup de celles et de ceux avec qui je travaille comprennent cela.

Loïc est mort hier. Il ne venait plus depuis plusieurs semaines. Tout s'est accéléré.

On m'a dit qu'il avait passé les derniers jours de sa jeune existence à Marseille, là où je travaillerai dans quelques semaines.

Les créneaux de soin de Loïc sont pourvus depuis longtemps et je suppose que sa chambre à Marseille est déjà occupée.

Je ne veux plus faire ce métier.




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dimanche 18 août 2024 mardi 18 août 2009 J'ai repris mes promenades dans les collines niçoises. Elles sont dans l'été comme si le temps ne passait pas. Je pense que c'est pour cela que j'aime autant les abords de l'autoroute suspendue qui les transperce comme un cathéter le fait avec les veines d'un patient à qui l'on administre un produit. En cette période de l'année, les embouteillages sont fréquents. On risque l'embolie.

J'aime particulièrement aller à Cimiez où la voie rapide semble se faufiler à travers les immeubles pour atteindre le tunnel presque à la hauteur du musée Chagall et à l'aplomb du parc Paradiso. Je pourrais ainsi rester des heures à regarder les voitures aller et venir et, de temps en temps, on craindrait presque la bulle d'air quand elles s'espacent brusquement les unes des autres. Et puis le flux reprend. Il doit bien y avoir des accidents parfois, mais je n'en ai jamais vu.

Bien sûr, ce n'est pas aussi spectaculaire que l'autoroute A8 et ses viaducs perchés à l'italienne. Je me rends souvent boulevard de la Madeleine regarder le viaduc du Magnan comme si je regardais sous les jupes de la ville ou mieux, les piliers d'une cathédrale moderne qui ne sera jamais achevée. L'autoroute me donne alors l'impression la plus forte, révélant ainsi sa puissance et sa fragilité, si proche de la vie.



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samedi 24 août 2024 lundi 24 août 2009 Mon pot de départ est presque prêt. Il n'était évidemment pas question de le faire à Lacassagne. Non, que cela n'aurait pas été possible, mais, je n'en avais pas envie. J'ai fait promettre qu'il n'y aurait aucun discours. J'ai aussi fait promettre qu'il n'y aurait pas de cadeau et que je souhaitais en revanche que chacune et chacun apporte quelque chose à boire ou à manger. Nous avons toutes et tous de petits salaires, en tout cas celles et ceux qui sont invités au pot de départ. C'est bientôt la rentrée. Il ne s'agit pas de dépenser de l'argent en cadeaux pour une collègue qui part à Marseille. Cela n'aurait en fait aucun sens. Je sais bien que ça se fait, mais, pour autant, cela n'a aucun sens.

Il fallait aussi trouver un lieu. Pas question non plus de louer un espace. Il fallait aussi que ce ne soit pas trop loin de Lacassagne. Traverser Nice aux heures de pointe peut prendre un temps infini. J'ai fini par trouver une terrasse grâce à une ancienne patiente qui est en rémission depuis plusieurs années. C'est dans la résidence universitaire, encore libre à cette période de l'année. Ce n'est pas idéal, mais c'est grand. Certes, on entend les voitures. C'est d'ailleurs sans doute pour ça que la parcelle a été choisie pour une résidence étudiante. Les étudiants sont déjà bien heureux d'avoir un studio, ils ne peuvent pas se plaindre. J'exagère un peu, parce que je suis allée visiter et c'est assez coquet et pas mal insonorisé. Et puis, s'il s'agit d'étudiants en médecine, ils sont tout à côté du C.H.U.

Je me charge de la préparation et de quelques plats. Le problème avec ce genre d'organisation, c'est que tout le monde peut apporter la même chose...

J'espère que cela sera réussi et pourtant, au fond de moi, cela m'est égal. Je ne suis pas certaine de ne pas me rappeler les morts.




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mercredi 28 août 2024 vendredi 28 août 2009 Tout s'est parfaitement passé. Nous avons ri, nous avons pleuré... Surtout moi d'ailleurs. Ils sont tous venus et j'ai même eu la surprise de voir d'anciens patients que je n'avais jamais revus. Bien sûr, malgré les interdictions que j'avais formulées, j'ai eu droit à un cadeau et à des discours. J'ai pleuré à chaque fois. J'ai pleuré pour le cadeau car ils m'ont offert une boite de couleurs pour peindre selon différentes techniques. Elle est si belle que je me demande si je vais oser l'ouvrir et surtout m'en servir. Ce doit être bien agréable de peindre à Marseille et de rencontrer des peintres avec lesquels échanger. Le discours, prononcé par une collègue, était évidemment louangeur. C'est le genre qui veut ça. Mais, il y avait de ces accents de sincérité qui font que l'on se dit que perdue dans le brouillard de soi, on a peut-être, malgré tout, fait de petites choses bien et c'est cela qui touche. On comprend que réussir sa vie professionnelle, ce n'est pas nécessairement accomplir de grands projets, mais, parfois, d'avoir su prendre au bon moment la main de quelqu'un pour l'accompagner dans une passe difficile.

Je pars avec ma boîte, avec plein de photos, avec plein de souvenirs et quelques larmichettes. Je déménage jeudi prochain... J'ai pris des déménageurs. J'espère que ça se passera bien. J'ai aussi loué une voiture pour être dans le nouvel appartement avant eux. Bref, je suis ruinée. Mais, je suis contente.




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mardi 3 septembre 2024 jeudi 3 septembre 2009 C'est aujourd'hui le grand-jour et je suis stressée. J'en veux pour preuve l'heure à laquelle j'écris ces lignes sur mon carnet. Quatre heures du matin, ce n'est pas raisonnable, d'une part car il y a peu de chance que les déménageurs arrivent dans l'heure qui vient ; d'autre part car j'ai ensuite de la route à faire jusqu'à Marseille.

En fait, je suis excitée comme on dit aujourd'hui pour singer l'anglais. Je suis à la fois anxieuse et impatiente, heureuse et un peu mélancolique.

Il se passe quelque chose dans ma vie. C'est indéniable. Mais un déménagement, c'est d'abord la fin de quelque chose avant d'être le commencement d'autre chose. Sauf à le faire exprès, il y a peu de chance, si je reviens à Nice, que je passe par ma rue et que, passant par ma rue, je passe devant mon immeuble et que ce faisant, je m'arrête et que je regarde quel genre de rideaux seront alors aux fenêtres.

Sauf que c'est exactement ce que je ferai. Je le sais. Si je reviens à Nice un jour prochain ou bien lointain, je ferai exactement ce que je viens d'écrire que je ne ferai pas.

Je laisse ici un témoin de mon passage. J'ai écrit sur un bout de fiche cartonnée un au-revoir et aussi mon nom et mon téléphone. J'ai démonté la plaque d'aération de la salle de bain. Trois vis. Peut-être quatre. J'ai déposé le carton et j'ai remis la plaque. C'est moins couteux et moins problématique à poser qu'une plaque en marbre indiquant qu'ici vécut Jeanne. C'est en fait peut-être plus durable.




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jeudi 5 septembre 2024 samedi 5 septembre 2009 Déjà deux nuits à Marseille. Enfin, je n'ai passé qu'une seule vraie nuit, c'est-à-dire dans une chambre et dans un lit correctement fait. La première nuit aura été plus chaotique, entre des piles de cartons qui menaçaient de s'écrouler, sur un matelas enroulée dans une couette sans housse de couette. Les housses de couette devaient être justement dans un de ces cartons, mais je supposais qu'elles étaient dans celui qui était tout en dessous de la pile. En fait, je l'ai vu ensuite, ce n'était pas le cas et avec un peu plus de courage et d'acuité, j'aurais pu en trouver une. En revanche, ce qui était tout en dessous d'une pile, c'était le café et la cafetière. Mais ce n'était pas grave. Je suis sortie prendre un café en terrasse. Et à Marseille, le café en terrasse prend un tout autre goût, qui n'a rien à voir avec celui de Nice. Il paraît que les Parisiens ne distinguent pas l'accent niçois de l'accent marseillais, voire de l'accent occitan. Je ne sais pas ce qu'ils ont dans les oreilles. En tout cas, nous on distingue très bien les accents et même celui de Paris, pourtant supposé ne pas en avoir.

Je crois que je vais aimer mon appartement de la rue Monte-Cristo. J'y ai bien dormi cette nuit.

Je commence lundi. J'appréhende un peu. Mais, c'est normal je pense. C'est un peu la rentrée des classes. D'ailleurs ce matin, j'ai croisé de nombreux enfants avec des cartables trop neufs. Je ne savais pas bien où j'étais. Il faudrait pouvoir garder en mémoire ces instants de dépaysement qui vont nécessairement, avec les jours, s'estomper au profit du quotidien.





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dimanche 29 septembre 2024 mardi 29 septembre 2009 Je ne sais pas si je ne me suis pas trompée. J'ai quitté une situation de soins où on oscille en permanence entre l'espoir de guérison et la déception face à l'absence de guérison à cette autre situation, très noble, très engageante mais où l'espoir de guérison est entièrement absent, définitivement absent.

Hier, une vieille dame est partie. Une de plus. Elle est partie paisiblement. La fenêtre de sa chambre était ouverte. On entendait assourdies les répétitions des élèves du conservatoire et quelques vocalises venant de la Maison du chant, à deux pas, dans la rue Chape. Un oiseau est venu sur le rebord de la fenêtre comme s'il venait voir ce qui allait se passer, ce qui s'était passé.

La vieille dame avait les yeux fermés. Cela faisait plusieurs jours qu'elle ne les avait pas ouverts. Ses mains étaient inertes. Seuls les appareils de contrôle pouvaient attester que la personne allongée était encore en vie. Et puis, doucement, ils ont attesté qu'elle ne l'était plus.

Elle n'avait plus de famille. Peut-être n'en avait-elle jamais eu. Nous n'avons donc eu personne d'autre à prévenir que les services funéraires.

Et c'est ainsi chaque jour ou presque. Je ne sais pas si c'est ma vocation que d'accompagner des personnes dans la mort. Je ne crois pas avoir la force spirituelle des sœurs.
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dimanche 27 octobre 2024 mardi 27 octobre 2009
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