Il faut que je me mette à l'arabe, mais il paraît qu'il est préférable de se mettre à l'arabe dialectal libyen si l'on veut que ça serve dans la vie courante. Peu importe. Je vais essayer déjà d'apprendre l'écriture de l'alphabet ainsi que d'apprendre à lire quelques mots simples. Je suis sûr que cela va me passionner. Je commencerai pendant les vacances de noël. En ce moment, je n'ai pas le temps. Je suis en pleine préparation de déménagement et cela ajouté aux cours, aux corrections et à la fatigue qui m'a pris ces derniers temps, je n'ai certes pas le temps mais surtout pas l'énergie de commencer cet apprentissage nouveau.
Je devrais peut-être consulter au sujet de cette fatigue, mais je crois moi que c'est seulement l'émotion et l'appréhension de partir vers de nouvelles aventures.
Quand on descend la petite rivière du Doustre qui côtoie Égletons et file vers le Cantal, on comprend que les anciens aient pu choisir ces pentes douces et éclairées pour y élever leurs bêtes en les gardant dans des enclos. Je me plais à imaginer donc que Le Jardin a toujours été, depuis qu'il a été dénommé, un jardin.
L'église n'est pas la plus intéressante parmi celles qui sont sous le patronage de nos deux saints. Mais elle n'en est pas moins charmante. Le cimetière est blotti contre elle, solide et quasiment fortifiée. Nous aurions pu nous y installer et déclencher un pèlerinage de guérison.
Nous n'en ferons rien. Là, je crois, n'est pas notre charisme en fait.
Mais je n'ai plus de voix. J'ai vu un ORL qui m'a envoyé voir un phoniatre, qui m'a fait faire des examens et le verdict est tombé. Je dois choisir entre chanter et nager. Ce seraient les produits de la piscine depuis mon plus jeune âge qui ont fini par altéré mes cordes vocales. Il est vrai que si maintenant on fait attention, il y a une vingtaine d'années, on ne lésinait pas sur les doses de produits. Les cheveux blondissaient et même parfois verdissaient. La peau s'asséchait et la voix devenait rauque.
Je me rappelle de l'odeur de la piscine au moment de l'adolescence. Elle est jusqu'à présent associée à la découverte des corps, vus ou entrevus, surtout le corps des filles que nous n'étions pas supposés, nous les garçons, pouvoir voir dénudés. Mais on s'arrangeait toujours, à tour de rôle, pour se tromper de douches, ce qui provoquait à chaque fois des hurlements stridents et le sourire complice des responsables des baignades, tous des hommes. C'est ainsi que j'ai vu des seins pousser au fil des années, des poils recouvrir l'entrejambe à mesure qu'ils couvraient aussi l'entrejambe des garçons, leurs jambes et parfois même leur torse sinon leur dos. Cette nudité subreptice provoquait chez l'adolescent que j'étais une excitation qu'il me fallait bien dissimuler. J'y parvenais assez bien avec de l'eau glacée. Mais il restait l'odeur, le soir, sur le corps, qui se faisait le support de mes fantasmes juvéniles.
Cette crise doit absolument se terminer car je dois être en forme pour les cérémonies du 11 novembre. Je dois accompagner le préfet et il ne manquerait plus que je m'évanouisse.
Je ne sais pas ce qui provoque ces crises. Avant d'aller me coucher, je n'avais pas regardé la télévision. Je n'avais pas écouté la radio ni même lu un livre ou les journaux. Je ne vois rien qui puisse m'avoir troublé au point de déclencher cette crise horrible.
Je vais demander à ma psy si elle peut me prescrire un médicament dans ces cas-là. Cela m'aurait aidé la nuit dernière.
Peut-être tout compte fait est-ce Nevers qui m'énerve. C'est presqu'un anagramme.
Quant à moi, je m'en moque un peu. Ce que je vois, c'est qu'il va falloir que professionnellement, je reprenne tout à zéro. J'ai une forme de management un peu particulière, mais cette fois, je vais les habituer tout de suite à ce que je sois fluid-gender. Je le leur dirai dans mon allocution introductive en expliquant que notre objectif collectif sera d'être une agence inclusive pour toustes. Et ce n'est pas si facile quand on a affaire à des gens qui sont parfois dans la galère et ce depuis longtemps.