Diégèse | |||||||||
lundi 8 décembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Ce fut ainsi
que ce grotesque, ce bourgeois ventru, mou et
blême,
devint, en une nuit, un terrible monsieur dont personne n'osa plus
rire. Il avait mis un pied dans le sang. Le peuple du
vieux quartier
resta muet d'effroi devant les morts. Mais, vers dix heures, quand les
gens comme il faut de la ville neuve arrivèrent, la
place s'emplit de
conversations sourdes, d'exclamations étouffées. On parlait de l'autre
attaque, de cette prise de la mairie, dans laquelle
une glace seule
avait été blessée ; et, cette fois, on ne plaisantait plus Rougon, on
le nommait avec un respect effrayé : c'était vraiment un héros, un
sauveur. Les cadavres, les yeux ouverts, regardaient ces messieurs, les
avocats et les rentiers, qui frissonnaient en murmurant que la guerre
civile a de bien tristes nécessités. Le notaire, le chef de la
députation envoyée la veille à la mairie, allait de
groupe en groupe,
rappelant le « Je suis prêt ! » de l'homme énergique
auquel on devait
le salut de la ville. Ce fut un aplatissement général. Ceux qui avaient
le plus cruellement raillé les quarante et un, ceux surtout qui avaient
traité les Rougon
d'intrigants
et de lâches, tirant des coups de fusil
en l'air, parlèrent les premiers de décerner une
couronne de laurier
« au grand citoyen dont Plassans serait
éternellement glorieux ». Car les
mares de sang séchaient sur le pavé ; les morts disaient par leurs
blessures à quelle audace le parti du désordre, du pillage, du meurtre,
en était venu, et quelle main de fer il avait fallu pour étouffer
l'insurrection. Et Granoux, dans la foule, recevait des félicitations et des poignées de main. On connaissait l'histoire du marteau. Seulement, par un mensonge innocent, dont il n'eut bientôt plus conscience lui-même, il prétendit qu'ayant vu les insurgés le premier, il s'était mis à taper sur la cloche, pour sonner l'alarme ; sans lui, les gardes nationaux se trouvaient massacrés. Cela doubla son importance. Son exploit fut déclaré prodigieux. On ne l'appela plus que : « Monsieur Isidore, vous savez ? le monsieur qui a sonné le tocsin avec un marteau » Bien que la phrase fût un peu longue, Granoux l'eût prise volontiers comme titre nobiliaire ; et l'on ne put désormais prononcer devant lui le mot « marteau », sans qu'il crût à une délicate flatterie. |
Émile Zola 1870
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Il
faut
peu de choses pour devenir quelqu'un qu'on respecte ou quelqu'un qu'on
vilipende et c'est bien là ce qui caractérise la réputation, d'être
versatile et volage et surtout bien opportuniste, qui fait et défait
les hommes en moins de temps qu'il n'en faut pour joindre deux
sous-préfectures. Les Romains l'avaient compris très tôt, qui
rappelaient à l'envi qu'il n'y a jamais loin du Capitole à la Roche
Tarpéienne. Est-ce que Manlius, un jour consacré sauveur de Rome pour
avoir entendu, disait-il les oies du Capitole comme s'émouvoir de
l'avancée des Gaulois, pensait qu'il serait jeté quelques jours plus
tard du haut du fameux promontoire pour avoir voulu faire fructifier à
l'excès cette nouvelle gloire ? Rougon, à cette heure de la
journée,
était ce Manlius désormais moins célèbre que les oies qui l'avaient
averti et Rougon n'avait pas assez de culture pour ce rappeler l'adage
latin arx Tarpeia Capitolii proxima.
Mais, fort heureusement pour lui, Rougon n'avait aucune autre idée de
grandeur que celle de devenir receveur particulier et de traverser la
rue de la Banne pour aller habiter une maison plus confortable. Il ne
se prendrait jamais pour un capitaine et il savait fort bien qu'il
rendrait son siège au maire désigné, sinon légitime, dès que celui-ci
paraîtrait de nouveau. Il ne se voyait en aucune manière siéger en
permanence dans cet hôtel de ville lugubre qui ne convenait pas à sa
mollesse invétérée. Rougon, d'une certaine manière, était un sage. Il
avait fait le coup de main comme ces bandits qui font un gros coup,
puis se rangent et ne continuent pas afin de ne pas se faire prendre.
Rougon savait trop que sa victoire était construite de beaucoup
d'incertitudes et qu'en cela elle était bien fragile. Qu'il parût trop
avide et la ville se retournerait contre lui, prête à crier au scandale
contre la tyrannie. Granoux, lui, était d'une autre trempe. Il lui suffisait qu'on lui rappelât jusqu'à sa mort qu'il avait sonné une cloche et, le jour de sa mort, son dernier soupir ira vers la cloche de la cathédrale. Il était homme à vouloir une plaque gravée à son nom et lui proposerait-on la plus sordide ruelle pour qu'elle prît le nom de rue Granoux, que cela ferait son affaire et suffirait grandement à le combler d'aise. Bref, les deux hommes avaient ce qu'ils voulaient et cela ne valait pas mort d'hommes. |
Daniel Diégèse 2014
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8 décembre | |||||||||
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